Cela devait faire bien longtemps qu'elle se préparait. Tout devait être parfait, elle devait être parfaite. Elle en avait l'obligation. Quelques heures plus tôt, elle avait demandé à Charlie si ce soir, il voulait bien sortir avec elle, dehors. A sa grande surprise il avait accepté. Surprise, non peut-être pas. Elle savait que l'on lui cédait tout, tout le temps. Peut-être était-elle un peu trop confiante. Depuis un bon quart d'heure, elle se regardait dans le miroir, se posant d’innombrables questions inutiles. Mais elle ne pouvait pas se permettre d'y aller les cheveux en bataille, ou mal habillée. Elle était toujours bien habillée, quand il s'agissait de Charlie. Ayant lâché son uniforme pour une tenue... plus jolie va-t-on dire, il ne lui manquait plus que les retouches. Elle s'était -enfin- décidée à laisser ses cheveux détachés, retombant ainsi sur ses épaules. Ils n'étaient pas bien longs, alors trouver autre chose que faire une queue de cheval était difficile.

Encore un quart d'heure s'était écoulé. Mais elle était enfin prête. Un sourire satisfait se dessina sur ses lèvres, face au miroir; elle était belle. Enfilant sa veste, elle ouvrit la porte sans faire de bruit. Ce n'était pas le moment de se faire attraper, la nuit tombait. Pour Charlie, elle était rebelle. Pour Charlie, elle devenait tout à la fois. Elle soupira, et laissa tomber la discrétion pour la rapidité. Plus elle sortirait vite, moins elle aurait de chance de se faire attraper. Libération, elle était enfin dehors. En fait, elle se foutait que ce soit à l'intérieur où à l’extérieur. Ce n'était pas qu'elle était mal ici, enfin peut-être bien qu'au fond, la seule chose qu'elle voulait était partir loin d'ici. Mais, elle allait voir le garçon qu'elle se tuait à entraîner dans ses filets depuis belle lurette. Celui qu'elle n'avait jamais vraiment eu rien qu'a elle. Elle le voulait. Charlie serait son trophée. Traiter les gens comme des objets était bas, mais l'on pouvait considérer qu'il serait seulement un de plus dans sa collection. Parce que oui, en attendant d'obtenir ce qu'elle voulait, il fallait bien qu'elle se divertisse.

Marchant dans l'herbe, l'air frais balayant ses cheveux tout en caressant son visage, elle regardait autour d'elle. Elle n'avait pas envie qu'il y soit avant elle. Elle voulait être en avance, elle voulait avoir le temps de s'asseoir et de penser à pleins de choses. Et surtout à ce qu'elle pourrait lui dire dès qu'il pointerait le bout de son nez. Elle ne savait pas vraiment si cela l'enchantait, probablement que non. Mais elle préférait se voiler la face et prétendre que sa compagnie ne pouvait qu'être appréciée. Elle poussa doucement la porte en bois, promenant son regard dans la cabane. Ce n'était pas un endroit de rêve pour un rendez-vous, qu'il soit le premier ou non cela ne changeait rien. Mais au moins, ils seraient tranquilles ici. Elle ne cessait de se faire des films. Pourtant, Aurore avait depuis bien longtemps oublié l'espoir. Espérer n'était pas son truc, cela ne servait à rien. S'asseyant sur le sol, elle attendit, soupirant. Elle n'était comme toujours pas d'humeur à attendre. La patience n'était pas une de ses qualités.

Un rendez vous. Avec Aurore. Charlie ne sait pas quoi en penser, mais ça fait des jours qu'il retourne ça dans sa tête, et il se dit que ce serait un bon moyen d'oublier définitivement Salomé. Il a décidé de s'y rendre, non pas pour faire plaisir a la jeune fille, mais parce qu'il compte bien en profite lui. Oui, c'est égoïste, bien sur, mais il sait déjà comment tournera la soirée, et c'est lui qui en a décidé ainsi. Le soir du rendez vous, il fait mine de s'occuper comme chaque orphelin a cette heure, puis se rend discrètement dans les douches pour se préparer. Après s'être lavé et coiffé comme il pouvait, il trouve des habits corrects pour un rencart, puis arrache la couverture de son lit pour l'amener avec lui. Il se sent un peu bête a sortir de l'orphelinat dans cette tenue, mais il fait attention de ne pas se faire voir hors de l'enceinte du bâtiment, fait quelques tours dans la forêt pour vérifier qu'on ne le suit pas, puis se rend a la cabane abandonnée. Une pluie de souvenirs l'assaille lorsqu'il atteint l'endroit ; la soirée Halloween avec Salomé, il y a plus d'un an, et tout ce qui était parti en couilles... Mais aussi lorsqu'il a consolé Lom, bien des fois, en ce lieu. Il détourne le regard et attend quelques instants que la nostalgie passe, que la tristesse quitte ses traits. Puis il pénètre dans la cabane, ne s'attendant pas a trouver Aurore, assise sur le sol. Il se force a lui sourire, alors qu'il aimerait bien rire de sa naïveté, qu'elle n'est qu'un jouet, qu'elle n'est la que pour lui faire oublier une autre fille. Il ne dit rien de ça et s'approche d'elle en la saluant, s'excusant de son retard. Puis il étend la couverture au sol pour qu'Aurore s'assoie dans un endroit plus décent que le plancher. Il s'assied a son tour, garde le silence un moment. Il se rend compte d'un truc, rit nerveusement et lache : « Aucun de nous n'a apporté a manger... » Il voudrait dire que c'est pas grave, faire quelque chose d'attentionné mais son corps s'y refuse, tout ça c'est réservé a Salomé. Charlie se dit qu'il pourrait envisager quelque chose avec la brune, elle a l'air gentille, elle est vraiment canon, et puis.. et puis c'est pas comme si ça ne ferait pas rager Lom. « Alors, comment ça va ? » C'est tout ce qu'il trouve a dire, pour gagner du temps, avant l'inévitable, avant tout ça.