Cela faisait environ dix jours que j'étais arrivée à l'orphelinat et je détestais déjà cet endroit. J'avais eu l'habitude d'une vie sans règles et sans restrictions, et ici, ce n'était que de la maltraitance. En plus, il fallait avouer que j'avais commencé en beauté, la première phrase que j'entendis de la bouche d'un adulte était que je me faisais coller pour deux heures... Quelle arrivée ! Dans cette salle, seule avec Cassiopée à faire des travaux, j'ai cru que j'allais tout simplement exploser, exploser de rage et tout détruire sur mon passage. Au plus grand bonheur de Cassiopée je m'étais retenue, heureusement que je savais contrôler mes émotions, une des choses où j'avais le plus de facilités, mais ici c'était trop, trop dur à supporter.

Je me demandais bien comment cet orphelinat pouvait être toujours sur pied avec un personnel aussi ignoble, ayant si peu de compassion. Car en effet, ils n'en montraient aucune, ils se contentaient de martyriser et de maltraiter les enfants. Je trouvais cela déjà très dur à supporter à mon âge et malgré que j'ai une grande force et que je puisse encaisser les coups très facilement, mais alors pour les enfants... Se devait être insupportable, soit ils allaient finir comme le personnel, sans cœur et sans peurs, se prenant pour les rois du monde, soit totalement reclus en se sentant inférieur à tout le monde. Rien de bon ne pouvait en sortir, je me demandais ce que les plus grands faisaient maintenant qu'ils étaient hors de l'orphelinat et quelles genres de personnes ils étaient devenus.

Enfin, après de nombreuses visites dans l'orphelinat, j'avais eu vent de ce passage secret menant dans la forêt, j'en avais fait l'usage un bon nombre de fois déjà. Encore aujourd'hui, j'étais venue m'isoler un peu. J'adorais me promener, et la forêt était mon terrain de chasse. Dans tous les sens du terme d'ailleurs, car je m'étais souvent promener dans les forêts pour aller chasser avec mon père. J'étais très douée dans ce domaine, et manier un fusil me manquait réellement. Enfin, je ne pouvais plus le faire désormais. J'étais donc venue seule pour prendre un peu de recul, je n'avais pas rencontré beaucoup de monde, simplement deux surveillantes, une jeune fille un peu plus vieille que moi, et Cassiopée évidemment. J'étais donc assez seule depuis le début, mais j'en avais besoin.

Je me promenais donc aussi loin que possible dans cette forêt, on ne pouvait pas dire qu'elle était très accueillante, mais j'adorais m'y retrouver, et je la connaissais déjà presque par cœur. En effet, il était très difficile pour moi de me perdre, j'avais appris tout ce qui était nécessaire pour survivre de par moi-même. Pour en expliquer davantage, mes parents étaient des personnes qui voyageaient beaucoup avant ma naissance, toujours sur les routes, ils en avaient appris beaucoup. Ils m'ont donc tout enseigné, si un jour ils venaient à partir trop tôt, et finalement c'était une bonne chose puisque c'était le cas. Aujourd'hui j'étais seule, mais savais prendre soin de moi sans avoir besoin de qui que ce soit. Je me promenais donc, à moitié en courant dans la forêt, cela me permettait de faire du sport, de me défouler, et d'en apprendre davantage sur la nature. J'étais très forte pour les parcours type parcours de combattant, et j'adorais ça, m'épuiser à n'en plus pouvoir.

Enfin, je commençais à fatiguer et m'arrêta de courir pour marcher un peu et reprendre mon souffle. A ce moment là, je vis un petit garçon contre un arbre, l'air paniqué et en colère. Je pouvais comprendre la panique d'être seul dans une forêt à son âge, et concernant la colère je la comprenais d'autant plus car j'étais moi aussi très en colère contre tout le monde, ayant perdu mes deux parents, un peu moins d'un mois avant cela. Tandis qu'il se griffait tout en bougeant frénétiquement de colère, je courus vers lui et lui empoigna les bras pour l'empêcher de se faire du mal.

« Eh ho ! Fais pas ça ok ? Ca ne t'apportera rien, crois moi, je le sais très bien. Alors arrête de gesticuler un peu et parlons. Moi c'est Kate et toi c'est comment ? »

J'essayais de calmer le petit tant que je le pouvais, et je ne comptais pas le lâcher tant que j'aurais compris qu'il ne se ferait plus de mal. Je n'avais jamais vécu ce genre d'auto-agression, mais je pouvais très bien comprendre les raisons qui le poussaient à le faire mais aussi l'aider à surmonter tout ça, pour faire face aux problèmes. C'était dans ma nature, franche, directe et battante, je n'hésitais pas à encaisser les coups et les problèmes pour tout le monde, car je me savais capable de les surmonter. Le seul petit doute qui subsistait en moi concernait mes parents. En effet, j'étais si proche d'eux, que c'était pour l'instant une des seules choses auxquelles il m'était difficile de faire face. Même la situation au sein de l'orphelinat, cette maltraitance physique et morale était bien plus facile à supporter, en tout cas de mon point de vue.

Lorsque j’agrippai l'enfant, je pus voir son regard se plonger dans le mien. Il avait de beaux yeux bleus mais semblait ne pas du tout apprécier mon geste tandis que j'essayais désespérément de l'aider enfin... Ce n'était qu'un enfant et je comprenais totalement sa réaction. Tandis que je lui parlais, je m'aperçus très vite qu'il ne prêtait aucune attention à ce que je lui disais, et devenait encore plus violent. Il me donna quelques coups, que j'encaissais sans aucunes difficultés, les premiers étant notamment dans les jambes, mais plus il y mettait de la force et plus il envoyait des coups en hauteur. Il commença donc à toucher mon ventre, ce qui n'était pas très agréable, jusqu'à ce que finalement, je reçoive un coup en plein visage. Malgré notre différence de taille, le fait que je sois accroupis devant lui, lui avait permis d'atteindre ma joue. Je n'avais pas eu mal, mais c'était la boue qui était venue s'écraser sur moi, qui m'alertait réellement sur ce qu'il venait de se produire. Ma joue devait être un peu rouge, enfin la peau, tandis qu'une masse de boue s'était installée sur celle-ci mais aussi sur d'autres parties de mon visage ainsi que mes cheveux. Je continuais pourtant de le tenir, avant de lâcher prise en lui montrant mes mains en l'air, comme lors d'un braquage, expliquant donc que je ne lui voulais aucun mal.

« Calme toi, calme toi ! Regarde, je ne fais rien, tout va bien, je suis pas là pour te faire du mal ok ? Je veux seulement t'aider. Regarde je m'assois par terre à côté de toi. »

Tout en disant cela, je m’exécutais, je me mettais donc dans une position de danger si jamais il voulait continuer de m'agresser. Je faisais cela dans le but de lui montrer que je me mettais à son égal et que je ne lui voulais aucun mal. Par la suite, je redescendis mes bras, les mettant le long de mon corps, cette action que j'avais effectué auparavant, me rappela la mort de mes parents. En effet, cela s'était produit lors d'un braquage dans notre bar-restaurant, un mois plus tôt. Mon visage se ternit, et mon regard devint triste un instant. Cependant j'essayais de reprendre sur moi, car je devais faire face à cela, et ne pas me laisser emporter par mes émotions, surtout devant un enfant, il n'avait pas à vivre mon malheur. J'esquissais donc un léger sourire, qui avait été difficile à montrer, mais il était bel et bien là. Par la même occasion, je pris une seconde pour enlever la boue de mon visage, bien qu'il devait sûrement m'en rester dans les cheveux, mais peu importe, je n'étais pas quelqu'un de sophistiquée, et je m'en fichais royalement.

« Alors, reprenons depuis le début, moi c'est Kate Turner, et toi comment tu t'appelles ? »

J'avais espéré que l'enfant se soit un peu calmé, pour essayer de reprendre une conversation normale. Tout en disant cela, je lui avais tendu la main, comme si je parlais à un adulte. Comme pour Cassiopée, je ne faisais aucun traitement de faveur envers les enfants, je serais là pour les protéger et les aider car c'était dans ma nature, mais je n'allais pas changer mon langage ou sembler plus « gaga » pour leur plaire. Après tout, ils étaient dans un orphelinat étrange et sordide, ils ne valaient mieux pas qu'ils s'attendent à avoir une vie toute rose ici.

Bizarrement, l'enfant avait tendance à se comporter comme moi, évidemment je n'avais pas été une enfant violente bien qu'ayant de l'énergie à revendre. Mais je le voyais s'essuyer les yeux, pour cacher ses larmes, je préférais donc ne rien dire, et faire comme si de rien était. Si j'avais été à sa place, je n'aurais pas aimé qu'un inconnu me fasse une remarque, et en vrai même un proche. Devant mes parents j'avais toujours bien agi aussi, m'énervant même sur eux s'ils tentaient de m'aider. En effet, ils m'avaient trop élevée dans l'optique de me laisser me débrouiller, que j'en étais venue à gérer une vie normale, et la moindre petit émotion seule. Enfin, évidemment je m'étais confiée à une amie, du lycée, de temps en temps, pour le peu que j'y allais en vérité. C'était la seule à être venue me voir à l'hôpital, car il fallait avouer, que je n'avais pas beaucoup d'amis, pas de mon âge en tout cas. J'allais rarement à l'école, et étais la plupart du temps au bar entrain de servir les clients, ou dans la nature à apprendre à me servir d'un fusil. Enfin, je n'étais pas une adolescente comme toutes les autres, mais maintenant j'étais juste enfermée, contre mon gré, dans un endroit atroce. La vie tourne, c'est ce que mes parents m'avaient toujours répétée, et ils avaient raison.

Je l'avais donc questionné tout en tendant la main, tandis qu'il me répondait tête baissée. Cependant, je gardais ma main tendue vers lui, pour voir s'il me repérerait, et surtout, s'il y répondrait de manière positif. Après un court instant, il finit par me regarder et plonger sa petite main dans la mienne. Il avait eu un temps d'hésitation, certes, mais au moins il l'avait fait, c'était déjà un début. Cependant j'avais pu remarqué que l'enfant s'était mis à penser, tout comme moi, certainement à des horribles choses de son passé, je préférais ne faire aucunes remarques à ce sujet pour l'instant, le laissant de lui-même venir me parler. S'il en était capable, je lui renverrais donc l'ascenseur. Finalement, c'est ce qu'il fit, depuis qu'il avait serré ma main, il continuait de me regarder et osa même me poser une question. Timidement mais il le fit. Sa question me surprit un peu, et j'eus donc un léger geste de recul, comme un soubresaut face à cette question très intime. Il n'avait pas de tact, et ceci me fit sourire, à ce niveau-là au moins, il était comme moi. J'avais un langage un peu brusque, mais surtout avec les adultes, car je savais très bien me comporter quand il le fallait, mais parfois j'omettais d'avoir un langage normal. Même si ce n'était pas facile d'en parler, après tout, c'était la curiosité des enfants, et de tout le monde en général, ce n'était certainement pas la première ni la dernière fois que j'allais avoir le droit à cette question, alors je m'étais habituée. En plus, il faisait des efforts pour tenter d'engager la conversation, alors je lui souris, de manière douce et apaisée avant de répondre.

« Alors je suis nouvelle tout comme toi vois-tu ! Je suis arrivée il y a dix jours, donc un tout petit peu avant. Les nouveaux sont vite repérés c'est pour ça que je sais que tu es arrivé après moi, t'inquiètes pas. Sinon pourquoi ? Eh bien... Umh... J'ai perdu mes deux parents il y a un mois. On leur a tiré dessus, et ils sont morts sous mes yeux... »

Tout en disant cela, les larmes étaient montées à mes yeux, mais je ne les laissais pas couler. Non, pas question de m'adonner à ce genre de choses maintenant. Ce n'était pas le bon moment, et pas la bonne personne non plus et s'il voulait en savoir plus, il me demanderait, mais ce n'était pas facile d'en parler. J'esquissais donc un léger sourire, pour tenter de la rassurer tout en me rassurant moi-même. Par la suite je lui faisais une remarque quant au sang sur son bras, dans le but d'agrémenter la conversation, en plus j'étais certaine que ceci allait lui plaire.

« Tu sais, après quand on rentrera, tu pourras venir en face de mon dortoir, j'ai volé quelques médocs et désinfectants à l'infirmerie pour quand je me blesse en venant ici. Alors si tu veux je te soignerai. Mais tu dis rien sur le fait que j'ai volé des trucs hein ! Je te fais confiance. »

Je lui adressais un nouveau sourire ainsi qu'un clin d’œil avant de continuer sur un sujet plus difficile et solennel.

« Et toi, qu'est-ce qui t'es arrivé ? »

Je savais que cela allait être difficile, mais après tout, il m'avait posée la même question, donc c'était un échange équivalent. Enfin, je m'adossais moi aussi à cet arbre, donc assez proche de lui, pour lui faire comprendre qu'il n'avait rien à craindre. En tout cas, j'espérai que désormais il le comprendrait, mais il semblait très émotionnel lorsqu'il y avait atteinte physiquement, et dans un orphelinat pareil, il était mal servi. Il valait mieux pour lui qu'il fasse attention avec Moor et les surveillants, ou alors que je le protège comme j'avais défendu Cassiopée devant Rebecca.

Lorsque je lui parlais de l'infirmerie et des compresses ou soins en tout genre que j'avais dérobé, l'enfant accepta ma proposition. Enfin, j'espérai tout de même qu'il ne dirait rien à un surveillant, sinon j'allais avoir de gros ennuis avec Moor, et ça, je n'avais pas envie d'y passer. L'échafaud et toutes ces tortures, ce n'était pas ce dont j'avais besoin maintenant, enfin je n'en aurais pas besoin par la suite non plus, mais là j'aurais vraiment du mal à le supporter. Les punitions en tout genre étaient déjà suffisantes à mon goût. Le but était donc de faire un maximum de bêtises, d'aller à l'encontre des règles, ça j'étais d'accord, mais sans se faire prendre. Cela pouvait arriver, mais si c'était trop souvent, les ennuis allaient vite prendre le dessus face aux bonnes choses. Enfin, je lui expliquais la mort de mes parents, sans réellement détailler l'histoire, ce n'était pas si facile. Mais finalement, il semblait devenir de plus en plus à l'aise, osant poser des questions. Certes ce n'était toujours pas facile de me parler, mais au moins, il le faisait. Il aurait juste pu me dire d'aller me faire f*utre et s'en aller, mais non, il restait. Je sortais don un léger rire face à sa question innocente.

« Haha, non pas du tout. Ils étaient des gens très très gentils, et j'étais très proche d'eux, alors ça me rend vraiment triste. Mais en fait, mes parents et moi, nous avions un bar-restaurant. Et un soir, trois hommes sont entrés dans le bar pour prendre nos sous. On a essayé de se défendre comme on pouvait, mais ils ont tiré sur mes parents et m'ont assommée. Du coup je les ai vu mourir, mais pas parce qu'ils étaient méchants, mais parce que de méchantes personnes sont venues faire de mauvaises choses. »

Ça n'était pas facile, et en temps normal je l'aurais dis sur un ton bien plus agressif, mais je tentais de me réguler face à cet enfant, il semblait déjà bien trop perturbé et n'avait pas besoin de mon langage grossier pour alourdir les choses. Par la suite, je lui avais demandé ce qui s'était produit de son côté et il m'avait répondu, un peu de manière évasive lui aussi, mais au moins je comprenais que son père était une mauvaise personne face à sa première question. Lui aussi avait été assassiné et apparemment l'enfant pensait que tous ceux qui se faisaient tuer étaient comme son père, donc quelqu'un de mauvais. Quel pauvre enfant... Je le regardais d'un air un peu triste, tout en continuant de sourire avec douceur avant de reprendre la parole.

« Je suis désolée gamin, s'pas facile la vie. Et je sais ce que c'est que de perdre des personnes proches, enfin, même si tu n'aimais pas ton papa apparemment, ta maman doit toujours te manquer et je le comprends que trop bien. Mais ici, on a tous perdu nos parents et on peut se soutenir, c'est l'un des seuls bons côtés de l'orphelinat, alors faut pas hésiter à en parler. Pour ta maman, tu n'y pouvais rien, la maladie c'est la maladie. Mais ton papa, il a fait de mauvaises choses lui pour être tué ? Comment tu vivais avec lui depuis ses dernières années sans ta maman ? »

Je restais évasive sur le nombre d'années, puisque je ne connaissais pas son âge, et je m'en rendais compte tout en lui disant cela. Enfin, c'était une question que je gardais pour plus tard, après sa réponse. Une chose à la fois était suffisante, surtout après ce genre de conversations, pénibles et douloureuses. Je posais donc ma main sur son épaule en signe de réconfort. J'avais un côté un peu mec sur ce point-là, car je n'étais pas très douée pour remonter le moral et montrer mon affection à des gens que je ne connaissais pas ou très peu, et encore plus depuis la mort de mes parents.

Je m'étais légèrement et gentiment moquée de son innocence, mais plus par surprise qu'autre chose. Il était rare de voir certaines assimilations de ce genre, mais c'était certainement car je n'avais jamais côtoyé les enfants auparavant, enfin très peu. J'étais plutôt dans un monde d'adultes, pas vraiment très riches, qui essayaient de s'en sortir et de se défendre à tous niveaux. L'innocence, les beaux moments, la vie sans soucis, ça, je ne connaissais pas, enfin pas réellement. Je le voyais donc lever les yeux au ciel face à ma réaction, mais je fis mine de rien, comme si je n'avais pas remarqué, un jour il comprendra la différence, et comprendra que cette assimilation était assez drôle. Enfin, j'avais toujours l'air triste et les lèvres tremblantes lorsque je parlais de mon passé, un passé un peu trop proche encore. L'enfant me regardait, et j'essayais tant bien que mal, d'esquisser un sourire, pour lui dire que tout irait bien. Enfin, après tout, Nathanaël devait bien se moquer de ce que je pouvais ressentir à cet instant, il avait ses problèmes et c'était normal.

Par la suite, je tentais de le rassurer, et essayer d'enlever toute la culpabilité qu'il pouvait ressentir, même s'il n'en ressentait pas, j'avais besoin de le faire, certainement parce que je me sentais moi-même coupable en quelques sortes de la mort de mes parents. Si c'était moi qui avait pris le fusil pour nous défendre, peut-être que je serais morte, mais autant mon père aurait pu faire quelque chose contre eux, et mes deux parents seraient vivants. Enfin, tant de « et si, et si » qui me trottaient dans la tête, bien que je ne puisse rien faire contre les événements qui s'étaient déjà produits. S'ils me voyaient là... Ils seraient attristés par la manière dont nous vivons dans cet orphelinat. Ils avaient toujours souhaité le meilleur pour moi, car même si avec nos forts caractères, nous étions tous, souvent, en conflits. Nous nous aimions plus que tout, et cet orphelinat n'allait rien m'apporter, rien de bon en tout cas.

J'avais donc posé quelques questions, et je voyais le jeune garçon pâlir face à celles-ci. Je ne changeais pas de conversations, mais le laissais répondre tant qu'il le pouvait. Il m'expliqua seulement qu'il était méchant, laissant un grand silence s'installer, tandis que je jouais avec quelques brindilles d'herbes, attendant la suite de sa réponse. Finalement, il se décida à me répondre, tout en me regardant. C'était triste, un père qui le battait, cela me révoltait, je ne comprenais pas comme un parent pouvait agir ainsi avec son enfant, surtout lorsque la mère était morte. Avoir une vie dure, certes, beaucoup de gens en ont une, mais c'était inutile de la rendre encore plus détestable. Enfin, je soupirais légèrement, frotta ma main sur la tête du petit garçon tout en le décoiffant avant de répondre.

« T'as raison, c'était pas quelqu'un de bien, et je peux comprendre ta rancœur envers lui, mais ça c'est fini. »

En vérité, ça ne faisait que commencer... à l'orphelinat, le jeune garçon allait aussi vivre des moments de violence et de torture, surtout s'il aimait faire des bêtises, comme presque tous les enfants en fait... Cette structure allait vraiment être difficile à vivre pour lui, et je me devais de faire quelque chose pour lui. J'avais l'âme d'une justicière, et l'envie d'aider mon prochain, peu importe le prix à payer, c'est ce que mes parents m'avaient toujours appris, et ils avaient gagné le plus grand respect de ma part grâce à cela. Enfin, j'enchaînais tandis que je pensais à tout cela.

« Il n'est plus là pour te faire du mal, et tu peux donc tirer un trait sur cette histoire, même si c'est difficile, je le conçois. Le but est de se reconstruire et de réussir à vivre avec notre passé difficile, car on est tous dans le même bain ici. Je sais que ça peut te paraître débile dis comme ça, mais le mieux à faire c'est d'avancer. Ensuite, peut-être que ton papa ne te haïssait pas. Bien sur, je ne donne pas du tout raison à tout ce qu'il t'a fait, c'est vraiment très mal et impardonnable, mais s'il en était venu jusque là, il devait lui aussi, avoir de nombreux problèmes, et au fond, il devait être très triste. Car on ne traite pas son enfant comme cela tant qu'on est heureux, tu vois ce que je veux dire ? Il n'était pas quelqu'un de bien, mais pour en arriver là, il devait être dans un sacré merdier que ce soit dans sa vie ou dans sa tête. Alors bien sur, je ne m'attends pas à ce que tu me comprennes ou que tu le pardonnes comme cela, surtout qu'il ne le mérite sûrement pas, mais ne te torture pas en pensant à lui. Le vrai problème ce n'était pas toi, mais lui, lui seul avait des problèmes avec sa vie, et sa manière de la vivre et de l'endurer. Alors ne te sent pas fautif, dis toi juste qu'il a commis beaucoup d'erreurs et ne savait pas affronter la vie comme il aurait du, mais que tu ne pouvais rien y faire. Tu n'as été qu'une victime dans l'histoire. Et ces cicatrices, sur ta main, tes bras, c'est lui qui t'a fait ça ? D'ailleurs, gamin, tu as quel âge ? »

Je continuais de l'appeler gamin, mais pas par méchanceté ou pour me sentir supérieur, mais plutôt parce que c'était mon côté un peu grossier qui ressortait souvent. Ça n'avait rien de méchant, j'appréciais le petit bonhomme en face de moi, il était peut-être colérique et violent, mais c'était simplement toute sa tristesse et son incompréhension face à son père et le décès de sa mère qui l'envoyaient sur cette pente graveleuse. Il avait juste besoin que quelqu'un fasse attention à lui et essaie de le comprendre et de lui faire comprendre pourquoi il avait vécu tout ça. C'était ce que j'essayais de faire, avec le peu d'informations que j'avais recueillies jusque là, plus j'en saurais et plus je pourrais l'aider. Il ne restait plus qu'à savoir s'il accepterait mon aide.

Lorsque je me permis de toucher les cheveux du petit garçon, il me regarda l'air étonné et mélancolique, et je le compris très vite en croisant son regard. L'amour d'une mère devait beaucoup lui manquer et c'était un geste que beaucoup de mamans donnaient à leur enfant. Je n'étais pas mère, mais il fallait avouer que malgré mon langage grossier, mes mauvaises habitudes, ma tendance à ne pas respecter les règles et tout ce genre de choses, mon côté justicière et protectrice me donnait parfois un instinct maternelle. J'espérai tout de même que ce geste ne l'avait pas froissé, ce n'était pas pour le blesser ou le rendre triste, mais plutôt pour être sympathique et le mettre en confiance. J'appréciais beaucoup ce petit, et il méritait de l'attention et de l'aide, ce que je comptais bien lui donner, une fois qu'il serait prêt à en recevoir de ma part.

Car en effet, pour l'instant je n'étais qu'une inconnue à ses yeux, et il n'allait pas se jeter dans mes bras pour être réconforté comme cela. En plus, mon côté forte, prête à faire face à tous les problèmes et le fait que je sois très confiante pouvaient parfois intimider certaines personnes, encore plus les enfants. Il m'écoutait parler, tête baissée, et plus j'avançais dans mon monologue, plus il semblait être touché par celui-ci. Cet enfant ne réclamait que de l'amour et c'était triste de constater qu'il n'en avait pas eu. Par la suite, il essuya ses larmes, ne chercha pas à me fixer, et répondit à mon discours. Ses paroles me firent esquisser une moue assez triste, il se sentait tellement responsable alors qu'il n'y pouvait rien. Ce n'était pas du tout comme ça qu'il devait voir les choses, mais il était certainement trop jeune pour le comprendre. Enfin, je n'hésitai pas à donner mon point de vue.

« Non, ce n'est pas ta faute Nath' ! Il ne faut pas que tu crois ça, même si ton père te croyait responsable, il avait tout faux. Lui et ta maman ont décidé de t'avoir, c'était leur choix et je ne pense pas qu'ils le regrettaient. De plus, ta mère aurait quand même eu ce cancer, peu importe que tu sois là ou non, ce n'est pas toi qui a crée sa maladie alors de toute façon, elle serait morte, c'était son destin et ce n'est pas toi qui a changé cela. Et enfin, c'est normal qu'elle ait été à tes côtés, c'est ta maman et le rôle de toutes les mamans, elle a juste fait ce qu'il fallait. Le fautif dans l'histoire c'est ton père, pas toi, pas ta mère. Alors ne te sens pas coupable, ne t'en veux pas pour des choses que tu n'as pas faites, surtout quand c'est toi qui a subi toutes ces violences. »

Je montrais ses cicatrices et je laissais quelques instants pour reprendre le cours de la conversation, le temps que l'enfant assimile tout ce que je venais de dire pour continuer dans ma lancée.

« Moi j'ai dix-sept ans. Et tu vois, moi aussi je me sens coupable, pour moi, c'est de la mort de mes deux parents. Depuis un mois, je me répète que si j'avais agi autrement, si j'avais fait d'autres choix lors de ce braquage, peut-être qu'ils seraient toujours vivants. Mais avec des « et si » on peut se faire pleins d'idées, et ce n'est qu'un moyen de se torturer l'esprit. Tu ne peux pas savoir ce qui se serait passé autrement, si le cours des choses avait était différent, et qui sait, peut-être que ça aurait été pire. Alors c'est ta vie, et ton passé, mais ce n'est en aucun cas de ta faute, il faut bien que tu te mettes ça en tête. »

Je lui souriais à nouveau, me tournant sur moi-même pour lui faire réellement face maintenant qu'il n'avait plus de raisons de me craindre.

Cet enfant était trop jeune pour avoir vécu tout ce que son père lui avait fait endurer, c'était injuste. Je ne comprenais pas comment la vie pouvait tourner ainsi pour un bon nombre d'entre nous. Qu'avions-nous fait ? Pourquoi devions-nous payer ? Enfin, la mort était un processus inévitable de la vie, un acheminement, ou un commencement pour certains, tout dépendait de nos croyances. J'avais tendance à croire que mes parents pouvaient toujours me surveiller de là où ils étaient, et c'était une idée plutôt rassurante. En tout cas, une idée qui me permettait d'avancer.

A force de rencontrer les enfants ou adolescents de cet orphelinat, je commençais à voir ce lieu comme un point de rendez-vous pour tous ceux qui n'avaient pas eu de chance. Normalement, un orphelinat digne de ce nom aurait dû être appelé « une seconde chance » mais ici, c'était plutôt pour ceux qui continueraient à souffrir, encore un bout de temps. Je m'estimais donc heureuse d'avoir dix-sept ans, et espérais qu'avec un peu de chance, d'ici un an, je pourrais sortir de cet enfer pour vivre ma vie comme je l'entendais. Mais avec cette affreuse Moor, rien était gagné. Quant au jeune Nathanaël, il allait vivre de nombreuses déceptions et d'horrible moments pour encore longtemps n'ayant que dix ans, c'était triste à imaginer. Espérons que nous pourrions tous nous soutenir, face à ce mode de vie plus qu'instable, je dirais même invivable.

Lorsque je pris la parole dans le but de lui faire comprendre que la mort de ses parents n'était pas de sa faute, je pus voir que l'enfant n'appréciait pas tout ce que je disais. Il aguichait cet air songeur et triste à la fois, mais je ne m'arrêtais pas. Par la suite, il prit à son tour la parole, arborant des propos très durs, et si triste à entendre de la bouche d'un enfant. Plus les minutes passaient, et plus je voyais un côté dépressif à ce jeune. Il était comme une rivière qui ne trouvait pas son fleuve pour s'y jeter dedans. Car le seul moyen d'avancer dans la vie, était de se jeter à l'eau et croquer à pleines dents les choses qui pouvaient nous apporter un peu de bonheur. Mais malheureusement, le petit garçon n'était entouré que de ténèbres et ne savait pas où trouver la lumière pour ressentir la chaleur d'un feu apaisant. Je n'étais pas choquée par ses propos, bien que ce soit très engagé pour un enfant si jeune, j'avais seulement du mal à comprendre comment on pouvait en arriver à aimer la mort.

Pour ma part, je la détestais, je ne souhaitais en aucun cas la rejoindre, elle m'avait volée mes parents, et je ne comptais pas la suivre à mon tour, même si cela aurait pu me permettre de les revoir. Ce moment arrivera bien trop tôt, et j'avais encore pleins de choses à vivre. Mon discours pouvait sembler très optimiste pour quelqu'un qui avait perdu ses parents un mois plus tôt, mais ce n'était pas le cas. Je n'avais pas la joie de vivre, seulement le courage et la force de me battre face aux événements traumatisants et difficiles de la vie. J'avais été élevé comme une battante, et je comptais bien faire honneur à mes parents de cette manière. Trouver la force en de petites choses pour me redonner l'espoir, et m'entourer de gens pour apprécier une vie sociale comme celle que j'avais avant. C'était mon but, certains voulaient devenir médecin ou avocat, d'autres espéraient une grande famille ou encore de l'argent. Moi je ne vivais que par ce que mes parents m'avaient appris, être forte, me débrouiller par moi-même, et tout faire pour me rendre heureuse.

Il me regardait droit dans les yeux, une certaine rage contre la vie pouvait se faire entendre dans ses paroles lorsqu'il me parlait. Quant il eut fini, je pris un peu moins d'une dizaine de secondes pour répondre à ses propos.

« Celui de ta mère oui bonhomme. C'est pas facile à entendre, je sais, mais la maladie ça ne se contrôle pas, et ta naissance n'a rien changé à ça. Quant à ton père, non, un assassinat, ce n'est pas juste, enfin, il avait peut-être fait de mauvaises choses, mais son temps a été écourté par quelqu'un d'autre, tout comme mes parents. Ce n'était pas leurs destins. Quant au tien, je ne peux pas te dire que ta souffrance s'arrêtera, tu vas avoir d'autres déceptions, d'autres événements difficiles à vivre. Je ne te le cacherai pas, cette vie est difficile, et cet orphelinat est une horreur, entre tout ce qui se passe, rien de bon n'en ressort. Tu as atterri au mauvais endroit mais tu n'y peux rien. Alors non, je te dirais pas que tu vas cesser de souffrir, je te dirais pas que tu ne le penses pas. Tout le monde a songer à mourir une fois dans sa vie, c'est une possibilité évoquée dans chaque esprit humain. Mais tu peux choisir, choisir d'être faible, te laisser abattre par tes malheurs, chercher à te tuer et peut-être même réussir. Je ne t'en empêcherais pas. Non. Mais lorsque tu mourras, tes dernières pensées évoqueront ton passé, et il n'est pas glorieux, on le sait tous les deux. Tu mourras en pensant que tout était de ta faute, que tu n'étais qu'un bon à rien, que tu as passé ta vie à te faire taper dessus sans rendre les choses faciles, et enfin crever ainsi. SI c'est cette image de toi que tu veux garder, pas de soucis. »

Je laissais un court instant de réflexion au jeune homme avant de reprendre la parole.

« Mais je te propose quelque chose d'autre. Essaie de te battre, essaie de prouver au monde entier mais aussi à toi-même que tu mérites le bonheur, et que tu le trouveras. Prends chaque parcelle d'énergie que tu as, pour tenter de rendre ta vie meilleure. Avance, la tête haute, et fais face aux événements parce que tu n'as pas le choix si tu veux vivre. Alors, le jour où tu mourras, tu pourras te dire que tu as tout fait pour être fier de toi, te rendre heureux, et donc rendre fière ta mère qui peut-être te regarde de là où elle se trouve. Peu importe comment tu finis, ce qui importe n'est pas la destination, mais le voyage pour y arriver. »

Je lui avais fait un discours très long, et peut-être qu'il ne comprendrait pas tout, peut-être allait-il me demander de plus amples explications. Après tout, malgré qu'il ait dix ans, je m'étais enfin adressée à lui comme à un adulte. Je ne faisais plus la différence maintenant. En effet, tout au début j'avais tenté de l'apprivoiser en étant plus douce et gentille, mais il semblait pouvoir être très mature pour son âge, et maintenant qu'il savait que je n'avais rien de méchant, je pouvais me conduire normalement, et lui parler comme je parle à tout le monde, enfants ou adultes.

Après mon très long discours, je laissa du temps à l'enfant pour réfléchir à ce que je venais de dire, mais aussi pour assimiler toutes ces choses, car je me rendais compte, bien que trop tard, que c'était un peu trop d'informations pour un si jeune garçon. Durant mon monologue, Nathanaël avait semblé avoir quelque peu perdu de la concentration, après tout, je ne pouvais pas en demander autant, je ne fis donc aucune remarque à ce sujet. Enfin, j'avais fini mon discours par une phrase plutôt philosophique qui lassait à réfléchir, c'était mon but, et qui apparemment marchait. L'enfant semblait être parti dans ses songes, tandis que j'attendais une réaction. Je continuais de jouer avec les herbes au sol, attendant une réponse, tout en le regardant de temps en temps, car désormais, je lui faisais vraiment face. Tandis qu'il était resté appuyé contre le tronc de l'arbre, je ne m'étais pas offert le luxe d'avoir un dossier, je préférais lui faire face et avoir une réelle conversation.

A mon grand étonnement, Nathanaël changea complètement de sujet, pour un aborder un tout aussi déplaisant en fin de compte. Car l'orphelinat n'avait rien de réjouissant, mais surtout, c'était un endroit malsain tenu par des gens malsains. Comment expliquer cela à l'enfant ? Comment lui dire qu'il venait de mettre les pieds dans un endroit tout aussi difficile à vivre que lorsqu'il était auprès de son père ? Après tout, la torture qu'elle soit physique ou mentale, existait bel et bien ici, et je ne savais pas trop laquelle était la pire. Me connaissant, je supportais plus facilement la torture physique que morale, après tout, ce ne sont que des coups, que des bleus, des écorchures, un bras cassé ou ce genre de choses, tandis que lorsque la personne touchait au bon endroit, au mauvais moment alors là, c'était dangereux. Si on me parlait de mes parents, si quelqu'un venait à me dire qu'il connaissait leurs assassins, qu'il les côtoyait ou encore qu'il recommencerait avec mes amis, et pleins de choses comme ça. Je sais que je serais détruite et me sentirais impuissante. Évidemment, je n'hésiterais pas à me battre, à tout faire pour les contrer comme cette nuit-là dans le bar, mais ces paroles pourraient affaiblir grandement une lueur en moi, de l'espoir, de l'envie...

Enfin, il fallait que je me reprenne et réponde à sa question, tout en songeant à comment expliquer à cet enfant qu'il venait de mettre les pieds en enfer. Ce n'était pas facile, et en plus j'étais tout sauf diplomate, la conversation n'allait donc pas être facile à digérer pour Nathanaël, mais il avait le droit à la vérité. J'aimais protéger les gens, mais à ce point-là, il semblait être un petit diable faisant des bêtises, alors il n'y échapperait certainement pas, dans ce cas, autant savoir à quoi s'attendre, même si la vérité fait mal à entendre.

« Eh bien... Le jour de mon arrivée, je me suis fais coller deux heures pour les avoir insulté « d'enc*lés » je pensais pas que y'avait un surveillant dans les parages en fait, et du coup, bon bah voilà... Ca aurait pu être pire. Sinon, on m'a surprise dans les dortoirs des rubans blancs, donc des plus vieux, et j'ai encore eu quelques soucis. Cependant, je n'ai pas encore eu d'histoires avec Moor, et j'en suis bien heureuse. J'adore faire des conneries, mais elle, il vaut mieux l'éviter. »

Je préférais rester évasive sur le sujet pour l'instant, lui laissant l'opportunité de poser de plus amples questions, ce n'était pas facile de tout avouer à un enfant, ce genre de choses. L'échafaud, la salle des tortures, et cette affreuse femme qu'est Moor. Ce laps de temps entre ma réponse et ses futures questions, me laissait du temps pour réfléchir à la manière dont j'allais lui annoncer la nouvelle. Et surtout, comment le rassurer derrière, car ayant déjà vécu des violences de la part de son père, cette nouvelle n'allait pas lui faire plaisir. Quant à moi, mes parents ne m'avaient jamais violentée, mais je m'étais beaucoup battue au collège, que ce soit avec des filles ou des garçons, j'avais donc encaissé beaucoup de coups, et appris le sport de combat par la suite, cela m'aidait à mieux supporter les douleurs physiques. Je me souciais donc guère de cette maltraitance, en tout cas, pas tant que je ne l'avais pas vécue, mais je me savais assez forte pour le supporter, mais j'avais peur que ce ne soit pas le cas pour ce petit garçon...

Au moins, j'avais eu le mérite de faire rire l'enfant. En effet, ça n'avait pas été chose facile depuis que notre conversation avait commencé, mais nous étions passés à un sujet un peu plus amusant. Je ne dis bien qu'un peu, parce qu'en réalité, beaucoup de mauvaises choses se produisaient avec le personnel et Moor. Jusqu'ici, je n'avais pas réellement pu le juger de mes yeux, mais les rumeurs étaient nombreuses, et je commençais réellement à y croire. Après tout, lorsque l'on voyait les agissements du personnel, on se demandait ce qui pouvait arriver lors d'un affrontement avec Moor. S'ils étaient embauchés pour ce job, et agissaient ainsi pour le garder, c'est que ces histoires de tortures étaient bel et bien vraies... Une idée qui me faisait grimacer sans même m'en rendre compte. Comment pouvait-on infliger cela à des enfants ? Mais surtout, qu'est-ce qui avait poussé Moor à devenir une femme aussi aigrie et amère ? Lorsque l'on décide d'ouvrir un orphelinat c'est pour, en principe, prendre soin des enfants, et non pas agir de la sorte.

Enfin, avec l'arrivée de l'inspecteur, les choses allaient se calmer un peu au sein de l'orphelinat, car Moor n'aura pas d'autres choix que de se montrer sous son plus beau jour, pour que sa bâtisse garde ses portes ouvertes. Si seulement on pouvait trouver un moyen de le faire fermer définitivement... Mais Moor était trop rusée pour cela, et les punitions que cela engendrerait seraient remarquables, à tout point de vue, physique, mental... Bien que cette affreuse femme dirige notre orphelinat, j'avais l'espoir qu'avec l'arrivée de l'inspecteur et les fêtes de Noël, tous ces mauvais événements, tous ces traumatismes cessent un peu, et de plus, je priais pour ne pas y prendre part. Pour l'instant, malgré les conneries faîtes, j'avais eu beaucoup de chance, j'aurais pu vivre pire.

L'enfant reprit la parole, tout en me regardant, j'en faisais de même et écoutais son discours. Je fis une drôle de moue à celui-ci, si seulement Nathanaël savait, il en parlait comme si tout était tout beau tout rose. Des punitions, oui, mais comme partout, se faire coller, tout comme au collège finalement... Quant au fait de se faire renvoyer pour aller dans une autre famille ? C'était la meilleure chose qui pouvait lui arriver. Mais je ne savais que trop bien, à quel point, plus il fera de conneries, et plus Moor voudra le garder. Non pas qu'elle soit masochiste non, mais je dirais plutôt sadique, plus l'enfant ira à son encontre, et plus elle le gardera pour le faire souffrir, à tous points de vue. Il fallait que j'explique à l'enfant les risques qu'il encourait à agir de la sorte. Je ne l'en empêcherai pas non, j'en ai moi-même fait, mais au moins il avait le droit de savoir à quoi s'attendre.

« Eh bien, la meilleure chose que je puisse te souhaiter c'est d'être renvoyé et de partir d'ici au plus vite. Je n'ai pas réellement peur de Moor, car je sais que je peux endurer beaucoup de choses, seulement tu dois savoir quelques trucs avant de te lancer dans tes conneries. Je ne t'en empêcherai pas, je te couvrirai même, s'il le faut, ou t'accompagnerai, mais d'abord écoute bien ce que je vais te dire. »

Je lui souriais, tout d'abord car c'était vrai, je pourrais l'aider ou le couvrir, cet endroit aurait donc quelque chose d'amusant un peu, mais c'était aussi pour le rassurer. Après ce que j'allais annoncer, il valait mieux que j'ai l'air d'avoir beaucoup d'assurance. Au moins, j'avais un avantage là-dessus, j'en avais toujours eu, et à revendre, puis comme je l'avais dis, je n'avais pas peur de Moor, mais parce que je me savais assez forte pour endurer les coups, physiques ou mentaux. Mais qu'en serait-il de ce petit garçon ?

« Comment le dire... Eh bien, il y a deux salles dans l'orphelinat où les grosses punitions ont lieu... Si tu fais trop de conneries, ou de trop grosses, tu peux soit te rendre à... la salle des tortures, soit à l'échafaud. Je ne saurai pas réellement te dire dans laquelle il vaut mieux se trouver. Mais tu dois comprendre que les orphelins n'ont pas donné ce nom à ces salles pour rien. J'ai appris qu'à l'échafaud, tu étais attaché, et Dieu sait ce qui se passe une fois que tu es en position de faiblesse. Donc faire des conneries c'est bien, mais sache que tu peux en payer le prix fort. Des tortures, que ce soit physique ou mental, car apparemment, elle n'y va pas de main morte sur les mots non plus. Je te souhaite donc de ne jamais te retrouver là-bas. »

Je le regardais désormais solennellement attendant sa réaction, peut-être que ce discours allait le freiner ne serait-ce qu'un peu, et après tout, ça ne serait pas plus mal. Sinon, j'allais devoir garder un œil sur lui pour essayer de prendre à sa place. Hors de question que je laisse ces c*nnards d'adultes faire du mal à un gamin. Surtout un nouveau, car j'avais bien compris que Cassiopée ne voulait pas de ma protection, mais lui, il n'avait pas vécu toute sa vie ici, et j'étais plus apte à endurer les coups et les mots que lui.

Il était vrai que j'aurais préféré que l'enfant ne fasse pas autant de bêtises que ce qu'il avait prévu, mais après tout, je ne pouvais pas contrôler sa vie, et il s'apercevrait vite des limites qu'il devait s'imposer. Enfin, je l'espérai. Car pour être franche, ce n'était qu'un enfant, il ne savait pas se maîtriser et il me l'avait prouvé, notamment lorsqu'il avait ce genre de « crises », je ne savais pas trop comment nommer cela. Donc même si je comptais un peu le diriger vers une voie plus sage et paisible, je ne pouvais l'obliger à faire quoi que ce soit. Premièrement, ce n'était pas mon genre, et en plus, j'avais fait et je faisais moi-même des conneries de temps à autre, mais au moins, je m'étais fixée des limites, et je savais quand et comment agir.

Cependant, il fallait avouer que je m'attendais à me faire prendre un jour, peut-être pas tout de suite, j'avais encore des plans et des issues de secours. Mais au bout du compte, l'orphelinat n'était pas si grand, et beaucoup de rumeurs courraient un peu partout, alors un jour viendra où ce sera mon tour. Et maintenant que nous parlons de rumeurs, c'était aussi le cas dans ma conversation avec le jeune White, je le vis se mordre les lèvres lorsque j'annonçai l'existence de l'échafaud et des choses qui se tramaient par là-bas. Ceci ne sembla pas réellement plaire au jeune garçon, et après tout, nous avions tous plus ou moins réagi de cette manière, enfin, il semblait être très atteint par cette phrase, le fait d'être attaché tout du moins. Nathanaël devait certainement se remémorer certains souvenirs douloureux du passé.

Quant à moi, j'avais plutôt réagi avec violence, cela me révoltait, et je ne comptais pas me laisser faire, mais après quelques récits, et en observant le personnel, j'avais vite compris que ce n'était pas le moment de me rebeller, après tout, la vengeance est un plat qui se mange froid. Et je comptais bien me venger. Me venger de cet orphelinat et ces putains d'adultes qui y travaillaient, des meurtriers de mes parents, et leur faire bouffer leurs tripes. Oui je comptais bien tous les détruire, mais avant cela, il fallait y réfléchir, me préparer soigneusement pour mieux attaquer. Enfin, mes histoires de vengeance ne regardaient personne pour l'instant, et je ne comptais pas encore mettre des plans à exécution, il fallait attendre.

J'écoutais le discours du petit, sans peurs et avec plein d'assurance, je ne savais pas si c'était les enfants en général, mais en tout cas, lui aussi me faisait un peu penser à moi, tout comme Cassie en un sens. Beaucoup d'entre nous étaient apeurés, mais la plupart des vraies conversations que j'entretenais, se faisaient avec des personnes comme moi, qui préféraient se battre plutôt que de laisser ces pourritures gâcher nos vies. Enfin, il était trop jeune pour entrer dans cette guerre selon moi, mais après tout un soldat est réellement un soldat lorsqu'il a un but et de la motivation, peu importe l'âge, les performances, ce qui compte c'est de se lancer à fond, et ne pas abandonner.

« Eh bien, tu n'es pas très différent de moi petit Nath'. Moi non plus ça ne me fait pas peur tu vois. Mais bon, il est quand même plus prudent de rester sur nos gardes, et de jouer au plus intelligent. On ne se lance pas dans une rébellion comme ça. Même si je suis d'accord avec toi, ils méritent tous une correction, et si tout le monde s'y mettait, on pourrait vivre mieux. »

Je laissais un temps d'arrêt avant de reprendre la conversation, d'un air toujours assez enjoué par la situation, oui préparer une bataille était quelque chose que j'appréciais.

« Les plus grands chefs de bataille étaient très intelligents et réfléchissaient beaucoup avant d'agir. Alors si tu veux faire une rébellion, je suis de tout cœur avec toi, mais on se lance pas ainsi. En plus, comme tu l'as si bien dit, il faut être nombreux pour mener cette guerre, et ramener du peuple, enlever la peur de se faire torturer, leur donner le courage d'affronter tout cela, ce n'est pas facile. Parce qu'on est nouveaux, on a pas vécu ce que d'autres ont pu vivre, et peut-être qu'ils ont été très traumatisé car je sais que ce n'est vraiment pas facile une fois arrivé à l'échafaud. »

Et je ne mentais pas...

Je me rendais bien compte que je parlais beaucoup. Je n'avais pas toujours été comme ça, mais petit à petit j'avais essayé de m'ouvrir au monde et être plus sociable. Ce que, finalement, j'avais réussi à obtenir avec le temps. Je devais certainement ennuyer l'enfant, mais moi aussi je me sentais seule. La perte de mes parents était trop récente je n'arrivais pas à m'en défaire. Il était vrai que je n'avais pas toujours eu de bonnes relations avec ma mère, nous nous disputions mais comme tout adolescent et parents, et notre complicité m'a rendu la tâche encore plus difficile. Nous étions toujours souriante l'une envers l'autre, et toujours entrain de rire, malgré nos disputes. Alors après son décès j'avais été meurtri, et je n'ai toujours pas évoqué ma relation avec mon père. Entre nous, il n'y avait aucuns problèmes, jamais. Il m'adorait et c'était réciproque, nous partagions tout, c'était si beau.

Enfin, ils n'étaient plus là pour que j'en vois la preuve. Alors après mon monologue, je pris le soin de me taire, laissant un silence s'installer. J'écoutais le bruit de la forêt et en profitais pour respirer l'odeur, de la mousse, de l'humidité. J'adorais cela, je suis allée me promener ou chasser en pleine forêt un nombre de fois incalculable. C'était mon lieu de rendez-vous, de repos, de relaxation. Mon environnement et tout ce qui me faisait du bien, je ne pouvais m'en passer et heureusement, ici j'y avais le droit. Enfin, le petit White reprit la parole, et je l'écoutais attentivement même si je ne le regardais pas, appréciant le paysage qui s'offrait à moi. Lorsqu'il eut terminé, je pris quelques secondes avant de répondre. Je souriais d'un air taquin et le regardais à nouveau.

« Pour le « Petit », je ne te promets rien, mais j'essaierai ! »

Je continuais de lui sourire, avant de répliquer face à ce qu'il avait dit, il avait été un peu dur et ce n'était qu'un enfant, en plus il était trop sur de lui et allais vivre de mauvais moments, je ne pouvais pas faire autrement que de le lui rappeler.

« Mais tu sais, c'est normal que certains soient apeurés. Ils n'ont pas forcément vécu les violences que toi tu as eu, ils ne savent pas ce que ça fait ni comment le supporter, il faut que tu sois plus indulgent. Beaucoup ont peur, et peut-être que tu devrais être un peu plus effrayé aussi. C'est bien d'être fort et de faire face, mais fais gaffe à trop tenter le diable on s'en brûle la queue. »

Je me contraignais à ne pas rire, car je ne savais pas si cette expression existait, mais en tout cas elle avait un sens et était assez représentative. Enfin, j'espérai qu'il comprendrait ce que je voulais dire, et que par la suite il serait assez prudent.

A ma grande satisfaction, je pus voir un léger sourire se dessiner sur le visage du jeune White. Cela ne s'était pas beaucoup produit depuis le début de notre conversation, et c'était un plaisir à constater. Je finissais mon discours et l'écouta par la suite. Sa réponse ne me surprenait pas, il ne voulait pas avoir peur, et refuser de vivre ce sentiment. Malheureusement pour lui, il en verrait d'autres dans son parcours, et au fond de moi, je savais pertinemment que certaines choses devaient l'effrayer. La première que j'avais pu constater, concernée le fait qu'on l'attache. Lorsque j'avais parlé de l'échafaud, l'enfant s'était mis à se mordre les lèvres comme s'il se remémorait de douloureux souvenirs. Je me demandais comment on pouvait faire subir ce genre de choses à un petit bout, et qui plus est, son propre enfant. Enfin, les adultes pouvaient parfois avoir des réactions ou un comportement bizarre, j'avais commencé à l'apprendre et à m'y faire.

Pour ma part, je ne me considérais pas comme une adulte, je n'avais pas envie d'en devenir une. Après tout, ils ne savaient que mentir, soit pour s'enrichir, soit pour garder leur liaison secrète, et tant d'autres exemples qui prouvaient à quel point l'humanité n'apportait pas grand chose de bon sur cette terre. J'avais cessé de sourire cependant, car l'idée de maltraité un enfant m'horrifiait à un point que ce petit ne pouvait imaginer. Je serrais le poing de toutes mes forces, j'avais envie de faire payer à toutes ces enflures ce que les enfants subissaient, ce que nous subissions. Faire payer les meurtriers de mes parents, faire payer cette Moor, Rebecca, et tous les autres.

« Oui, tu sembles avoir beaucoup vécu, mais après tout, c'est peut-être mieux si ça s'arrête maintenant tu ne crois pas ? Faire des bêtises, je le conçois c'est amusant, et je pourrais même t'aider parfois si tu ne vas pas trop loin à mon goût. »

J'essayais de le mettre en confiance, de lui faire comprendre que même si je n'aimais pas l'idée qu'il se mette dans des situations dangereuses, moi aussi j'avais gardé une âme d'enfant, prête à faire toutes sortes de bêtises. Mais par la suite, je vis Nathanaël pâlir. Je posais donc ma main sur la sienne avant de lui poser une question.

« A quoi tu penses ? Qu'est-ce qui te fait si peur ? Tu sais... Tu peux m'en parler, je peux t'aider à vaincre cela. Si tu veux, je peux t'apprendre à te défendre, j'ai fait des sports de combat et j'ai appris le tir. Bon cette dernière option je peux pas te l'enseigner, mais si savoir te défendre peut t'aider à surmonter tes peurs, je veux bien le faire. »

Je tentais de lui apporter autant de soutien que possible, mais c'était difficile, j'étais moi-même nouvelle ici, et en situation de détresse. Je n'acceptais toujours pas la mort de mes parents, et les seuls sentiments qui m'envahissaient étaient la colère et l'esprit de vengeance. J'arborais alors un regard déterminé, peut-être un peu effrayant, mais je songeais à ces agresseurs, mes agresseurs, et ils ne pouvaient pas s'en tirer comme cela. Ah ça non, je ne laisserai jamais une telle chose se produire, et si je devais en mourir... J'acceptais ce risque.