La saveur de la viennoiserie explose dans ma bouche. Je ne peux m'empêcher de fermer les yeux, debout, seule dans la ruelle délabrée, à savourer le goût de pomme encore chaude qui fond sur ma langue.
Cela fait quelques jours maintenant que je n'ai pas mangé à ma fin. Bien sûr, j'ai toujours réussi à me dégoter quelque chose à me mettre sous la dent, mais jamais quelque chose d'assez bourratif pour me caler véritablement l'estomac.
Et puis, heureusement, je suis tombée sur ce job, qui m'a permis de gagner tout juste assez pour que, à peine mon travail fini, je puisse me précipiter dans la boulangerie la plus proche -et la plus propre- pour pouvoir succomber à l'un de mes péchés mignons de toujours. Les chaussons aux pommes.
C'est pourquoi je me trouve là, un sac rempli de friandises dans une main, dont une déjà à moitié dévorée dans l'autre. Je me doute bien que ce ne soit pas là un choix de dépense très intelligent, mais j'en rêvais depuis tellement longtemps qu'en profiter ne peut pas vraiment me faire de mal.
La vie est vraiment étrange. Il y a à peine quelques semaines, j'étais encore en train de chercher ma demie-sœur partout, persuadée qu'elle était désormais ma seule raison de lutter, et voilà que je suis là, à errer dans les quartiers, avec la certitude rassurante d'avoir réussi à rencontrer Sam, et celle, ô combien incroyable, d'avoir retrouvé Ethan. L'amour de ma vie.
Et avoir entre mes mains toutes ces certitudes -doublées d'une quantité impressionnante de chaussons aux pommes- me fait voir l'existence d'un regard neuf. J'ai l'impression de n'avoir jamais été plus heureuse de vivre.
Je mords une nouvelle bouchée, tout en continuant à marcher d'un pas légèrement dansant, mon bonnet à pompon blanc glissant un peu sur mes cheveux, quand je l'aperçois.
Une fille, solitaire, assise sur un tas de décombres. Elle se lève prestement, tout en frottant ses paumes contre son jean, sans ma quitter du regard, un sourire un peu nerveux aux lèvres.
Je tourne un peu la tête, afin de voir si ce n'est pas à une personne qui se trouverait derrière moi qu'elle sourirait ainsi, mais non. Nous ne sommes que toutes les deux. Et à la façon qu'elle a de me fixer, je devine que c'est bien moi qu'elle attend.
Un peu méfiante, je ralentis un peu l'allure, et m'approche d'elle à pas prudents, tout en la détaillant avec un grand soin, au cas où son visage me serait familier.
Elle a de longs cheveux bruns, des yeux noirs, un joli sourire -quoiqu'un peu crispé- et une silhouette élancée.
J'ai beau chercher dans les méandres de ma mémoire, elle ne m'évoque aucun souvenir particulier. Hormis celui d'une légère impression, comme si elle me rappelait quelqu'un... Mais rien de plus.
Soudain gênée de me trouver là, les mains pleines de viennoiseries, avec mon bonnet mal ajusté, je sens mes joues s'empourprer légèrement. Je ne dois certainement pas offrir un tableau très attrayant.
Un peu nerveuse, je préfère enlever mon bonnet et serre ce dernier dans mon poing, comme pour me donner une contenance face à cette inconnue si déstabilisante.
- Salut, euh... Tu cherches quelqu'un ? Bien que je doute que personne d'autre ne se présente dans un coin en aussi mauvais état, je ne trouve rien d'autre à dire.
Tout ce que je peux faire, c'est croiser les doigts en espérant que cette fille ne m'apporte pas d'ennuis...