Je garde les yeux ouverts une bonne partie de la nuit, tous mes sens en éveil. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? Depuis la fin de l'après-midi, j'ai une grosse boule dans le ventre, qui m'a même empêchée d'aller manger. C'est comme si je ressentais l'effet de la fatigue, de la nervosité et de la frayeur, tout ça en même temps multiplié par quatre. C'est donc complètement normal pour mon organisme de subir cette insomnie, au vu de tout ce qui se passe dans ma tête, même si je n'en comprends pas le sens. Je repasse dans ma tête tout ce qui a pu se passer de négatif aujourd'hui, mais tout semble parfait, à commencer par ma relation avec Jude. Je ne sais pas s'il compte aller voir ailleurs, mais j'ai été prévenue par toutes les filles de l'orphelinat et je commence à en avoir assez d'elles. Je sais que ça ne risque pas d'être facile, mais ça en vaut la peine.
Alors, que se passe-t-il ? Je redresse la tête et fourre ma main sous mon oreiller pour en retirer Cochon, ma peluche de chiffon qui me suit partout depuis que je suis née. Le vide que je capte me fait alors paniquer. Je cherche frénétiquement Cochon, sous les draps, puis le matelas, réveillant quelques filles du dortoir qui se rendorment tout de suite en se retournant dans leur lit.
Les larmes perlent à mes yeux. La nuit dernière, Cochon était là. Qui a bien pu me la voler ? Ou bien ai-je mal cherché ? Pendant une bonne demi-heure, je m'affaire à chercher ma peluche partout, dans mes affaires, faisant un bruit impossible. Les orphelines sont plongées dans le sommeil et aucune ne vient me demander d'arrêter. Je m'assieds sur mon lit en enfouissant mon visage entre mes mains. Je refuse de pleurer pour ça. Je devrais me faire une raison, mais Cochon est toute ma vie et je ne veux pas m'en séparer, pas maintenant, de façon aussi brutale.
Qui peut être aussi malfaisant pour me voler un bout de tissu aussi important ? Quelqu'un qui aimerait me voir souffrir ? Ne pouvant pas rester là dans ce silence sans rien faire, je me lève en chemise de nuit et je vais me réfugier dans les douches des filles, endroit assez isolé pour que je puisse pleurer sans être dérangée, mais aussi parce que je sais que peu de gens passent par ici. Si quelqu'un vient, ce sera sûrement un garçon, puisque leurs douches se trouvent juste après. Il ne me reste plus qu'à espérer qu'un fou n'aie pas l'idée de prendre une douche à une heure pareille.
J'allume toutes les douches en espérant que ça masque le bruit de mes sanglots. Une fois assise contre un mur, un jet d'eau chaude dirigé vers moi, je me laisse enfin aller à pleurer.
Qu'est-ce qui ne va pas dans ma tête ? Déjà avant le dîner, avant de découvrir la disparition de Cochon, je me sentais mal. Je suis vraiment étrange comme fille. Je continue de pleurer, même lorsque l'eau devient froide et insupportable. Elle a déjà trempé ma chemise de nuit et mes cheveux mais je n'y prête pas attention. Ça rend la douleur un peu moins aigue.
Je me mords la lèvre, le front sur les genoux. Je voudrais tellement récupérer ma vie d'avant, tranquille et si simple...
Tandis que les douches continuent de vomir toute l'eau froide qu'elles peuvent sur mon corps avachi, je n'entends pas les légers bruits de pas qui s'approche de la porte des douches, que j'ai laissée entrouverte.

Ca y est, l’heure du couvre feu est arrivé. Je me dirige vers mon lit en traînant des pieds n’ayant absolument pas envie de dormir. J’étais trop agité pour cela. J’ai toujours eu un sommeil difficile et léger. Même dans ma petite ferme jadis. Dès lors où une petite chose aussi insignifiante qu’elle soit m’occupait l’esprit le sommeil ne venait pas. Il m’était déjà arrivé de ne pas pouvoir dormir car je ne me souvenais plus si notre chien était rentré pour la nuit, une fois la chose  vérifier, je m’étais endormit dans les minutes suivantes. Cela peut paraitre insignifiant, mais depuis que je couchais a l’orphelinat, mes nuits était peut nombreuses et peut longues. Aussi bien pour tout le stress causé par les événements qui ont bouleversé ma vie, mais également pour les problèmes de mes proches.
Aujourd’hui avait était chargé, en stress mais aussi en quelque chose qui m’était inconnu. Enfin cette « chose me prenait depuis plusieurs semaines. Depuis que Sam était en relation proche de ce Jude je me sentais comme perdu. Je n’arrive pas à expliquer ce sentiment, car déjà au fond de moi je ne le comprends pas. J’ai peur que Sam me laisse, qu’elle me remplace par ce garçon qui la fait sourire ainsi.
J’ai remarqué une certaine distance entre nous. Je ne sais pas d’où elle vient ; Si c’est Sam qui la fait naitre, ou si c’est moi, ou plutôt Jude.

Je me lève de dessous mes draps, puis soupir. En repensant à tout ca j’en ai perdu l’espoir de m’endormir. Je sors du dortoir pour ne réveiller personne puis, une fois dehors, je m’adosse au mur et passe ma main sur mon visage.
Je dessine donc de me passer de l’eau sur le visage. En m’approchant des douches masculines, je passe devant celle des filles et constate avec étonnement quelles ne sont pas vides. Ne voulant pas gêner la personne qui se lave je vais me mettre sous l’eau un bon moment.
L’eau de ma douche s’arrête, je sort donc puis me sèche pour m’assoir à terre et penser sans déranger. C’est alors que le son de pleures arrivent a mes oreilles. Cela vient des douche d’à coté.
Apres quelques minutes d’hésitation je me dirige vers eux puis m’arrête face à la porte entrouverte. « Toc toc» le léger bruit que produisent mes doigts sur le bois se fait étouffer par celui de l’eau.
Alors je risque un œil à travers l’entrebâillement pour apercevoir Sam. J’entre dans les douches aux couleurs claires puis ferme derrière moi. Je m’approche de ma meilleure amie en évitant le jet d’eau tant bien que mal pour m’assoirai a ses cotés.
« Sam… »  Un murmure sort de ma bouche alors que je la prenais dans mes bras tendrement. Je entais l’eau des ses vêtement et de ses cheveux mouiller ma chemise mais je ne la lâchai pas.

Ce n'est que lorsque j'aperçois une silhouette qui entre dans la pièce que je lève les yeux et sursaute. Mon cœur s'affole et manque de quitter ma poitrine, mais je reconnais aussitôt les traits de mon meilleur ami, Björn. J'avoue que j'ai eu peur ; ça aurait pu être n'importe qui alerté par les bruits de l'eau. Je le regarde a travers mes larmes s'avancer, éviter tous les jets d'eau, et s'assoir a mes cotés, dans la flotte. J'aurais préféré qu'il ne fasse rien, qu'il passe sans s'arrêter parce que je ne sais pas moi même ce qui se passe.
Je me mets toujours dans des états pour rien, et je suis certaine qu'il le sait. Mais je ne peux m'empêcher d'inventer une excuse dans ma tête. « J'ai perdu ma peluche », ça ne le fait pas trop. Je sens les bras de Bjorn autour de moi et ça me réchauffe. Je sais que je suis en train de le mouiller, mais ce n'est pas ma faute, je ne lui ai jamais demandé de venir me faire un calin.
Il murmure mon nom et je ferme les yeux, sans réprimer les sanglots qui me secouent. Je pose ma tête contre son épaule sans répondre. Que dire de toute façon ? Tout le monde ici déteste sa vie, tout le monde ici voudrait avoir un passé digne de ce nom et un futur encore meilleur. Ça ne sert a rien de se plaindre de ce genre de choses car il y a toujours plus heureux que nous, mais voilà, c'est pas la grande forme non plus.
« C'est quoi mon problème... » je murmure, écœurée de mon attitude. Bjorn est vraiment trop gentil avec moi et je me sens si ingrate. Je devrais être plus présence pour lui, je le sais, mais il y a Jude, il y a Emily, et tous les autres. « Qu'est-ce que tu fais là, Bjorn ? » Ma voix reprend un peu d'assurance et je me redresse pour garder un semblant de dignité. Je regarde le sol mouillé, battu par l'eau des jets. J'ai froid mais je n'y prête pas attention, sentant la présence réconfortante de mon meilleur ami a mes cotés.

Je suis la, avec Sam dans les bras. Je pose une main sur ses cheveux mouillés. Je ne sais pas vraiment quoi faire pour tout avouer. Voir ma meilleure amie pleurer ainsi me fais mal, je n’arrive pas a penser a quoi que ce soit.  « C’est rien t’inquiète… » Tentais-je de la rassurée.
Je voudrais savoir la cause de ses pleures, mais je n’ose pas lui demander  de peur de la chagriner encore plus. Je pensais a diverses raisons, mais quasiment toutes se résumait par Jude. Je ne sais pas pourquoi, mais pour moi leur relation ne pouvait pas apporter de bien a Sam. Je voyais Jude comme un mec sans cervelle, utilisant les pauvres filles qui avaient le malheur de tomber sous son charme.  Je n’aimais pas trop l’idée qu’elle pourrait être brisée par ce gars. Non, je ne voulais pas, mais je ne me sentais pas capable de lui faire du mal en lui disant ce que je pensais.
Donc je me contentais de la consoler et de lui servir d’appui.
Je regarde Sam se redresser. Je me lève pour aller éteindre les douches. Puis je reprends ma place près de Sam. « Je voulais chasser l’insomnie par une douche, et je t’aie vu. Enfin entendu. » Je lui sourit légèrement. « Sam » Je la regarde sérieusement. « Qui a-t-il ? Je peux t’aider ? »

Je laisse aller ma tête contre l'épaule de Bjorn, les larmes continuant de rouler le long de mes joues, sans parvenir a masquer ma tristesse. De toute façon il est trop tard pour garder un semblant de dignité et je n'essaie même plus de ravaler mes larmes. Je ne suis pas forte, c'est une réalité, mais ce n'est pas une raison pour inclure les autres dans mes faiblesses. Oui je suis égoiste, et lache, et tous les défauts qui puissent exister sur cette terre, mais j'aime quand Bjorn est la pour moi, quand je peux faire exploser les vannes sans risque qu'on me juge, je peux lui faire confiance et il le sait. J'ignore si je suis toujours aussi présente pour lui, ça devrait être réciproque mais comme toujours je pense trop a moi. C'est malheureux mais vrai, si bien que le fait que mon meilleur ami soit encore la pour me consoler, par un hasard assez miraculeux, ça me donne envie de lui sourire, de le serrer encore plus fort contre moi. Après tout ça sert a ça les amis, non ? J'ai envie d'être présente a ses cotés quand lui va mal, mais j'ai la sensation que ça n'arrive jamais, ou alors je suis trop égoïste, ou trop ingrate, au choix. Je lève les yeux vers Bjorn lorsqu'il se lève, pensant soudainement qu'il veut s'en aller face a mes pleurs, mais il se contente de stopper les douches et un grand soulagement m'envahit lorsque le silence revient. Il me paraît cotonneux et très loin aux oreilles mais je ne peux m'empêcher de l'apprécier un peu plus. Le silence, pas Bjorn hein. Quoique lui aussi ceci dit. Je suis tellement centrée sur moi et ma souffrance que j'oublie le mot « insomnie » dans ses paroles. Mon meilleur ami a des problèmes, comme tout le monde, et moi je suis la a pleurer sur une peluche ? Je ne sais même plus ce qui m'a conduit ici, ni les raisons de mes larmes. Ce serait bête de lui dire que Cochon a disparu, et ça me fait rougir. Je passe une main sur mes joues humides en reniflant, tentant d'apaiser mes sanglots, n'osant pas fixer Bjorn dans les yeux. « Je... j'ai perdu... Non oublie, je me sens bête. » Je dois avoir l'air en piteux état, vue de loin, avec mes yeux rouges et bouffis, mes cheveux mouillés en pétard, et ma chemise de nuit dans le même état. Puis je me dis que ça ne peut pas être pire, que de toute façon personne n'a besoin de savoir ce qui me fait pleurer, et que personne ne le saura si Bjorn ne parle pas. « J'ai perdu Cochon. Et ça me fout mal, et j'ai honte et... » Je me tais, les yeux dans le vague. Je me sens stupide, vraiment stupide.

J'ai toujours eu peur de déranger les gens autour de moi, même les plus détestables. Chaque jour je le vit un peu pour mes proches et non pour moi. On me l'a déjà dit, ce n'est pas une qualité. Enfin pour les autres si, mais pour moi même ce caractère est plutôt néfaste. Il est sûrement dû à Nihal. A son rejet incompréhensible envers moi, son frère cadet.
Avec Sam, c'était différent. Ce que je faisais pour l'aider, je voulais vraiment le faire. Ce n'était pas seulement un reflex. Cela me faisais plaisir de sentir qu'elle savait qu'elle pouvait s'appuyer sur moi de tout son poids. Ses problèmes font parti des miens. Avoir ce rôle pour Sam me rassurai.

Je secha les larmes des joues de ma meilleure amie du revers de la main, puis lui passa la serviette, que j'avais pris pour moi plus tôt, sur les épaules.
"Dis moi, n'ai pas honte. Je ne vois pas pourquoi tu devrais." Dis-je d'un ton qui se voulait rassurant.
J'écoutais alors la raison des pleurs de mon amie. Je la regarda doucement. "Ta peluche doit être importante pour toi, c'est normal de réagir ainsi. T'as pas a avoir honte. On la retrouvera. Demain on cherchera ensemble." Je lui sourit et la serra contre moi.