Charlie se demandait s'il devait sécher le cours de maths ou non. Il en avait envie, mais son absence serait pointée du doigt et dans ce cas-là, il risquait gros. Avant le cours, il décida donc de prendre l'air, histoire de se sentir plus calme pour réfléchir au choix existentiel qui le tiraillait. D'un côté, il allait s'ennuyer s'il manquait le cours, de l'autre, il allait également s'ennuyer dans ledit cours. Le dilemme du prisonnier.

Il déambula dans les couloirs, croisant quelques élèves de temps à autres, puis poussa la porte du hall. Il était plongé dans ses pensées, si bien qu'il ne vit pas la jeune fille roulée en boule, sanglotant. Il ne s'aperçut de sa présence que lorsqu'elle leva les yeux et lui parla. Il sursauta, très légèrement mais distinctement quand même, puis ouvrit des yeux ronds et pila net.

C'était la première fois que Charlie Smith restait en arrêt devant quelqu'un ou quelque chose. Au lieu de se démonter, il fronça les sourcils, mais n'osa pas s'approcher de la jolie blonde. Il la trouvait mignonne, même dans cet état-là – mais de toute façon, il trouvait toujours les filles mignonnes. Il croisa les mains derrière son dos et déclara, curieux :

« J'imagine que tu es nouvelle, c'est ça ? Je t'avais encore jamais vue ici. Pourquoi tu restes par terre ? Viens, je vais te tirer de là. »

Il faisait exprès d'ignorer ses pleurs, quelques instants plus tôt, il ne voulait pas la mettre mal à l'aise, et c'était vraiment délicat de sa part. Le jeune homme sourit pour la mettre en confiance, puis tendit la main pour qu'elle l'attrape. Il n'était pas dénué de galanterie, non plus. Il était Charlie, tout simplement.

Maintenant, la question était réglée, il n'irait pas en cours de maths ce jour-là.

S'il y avait des nouveaux Charlie était toujours le premier à guetter la venue du surveillant, et quand il ne venait pas il prenait les choses en main, mais ce jour-là il n'était pas au courant qu'une jolie blonde d'environ son âge arrivait pour la première fois à l'orphelinat. Autant ne pas la laisser là comme une vulgaire décoration, il allait l'aider à s'installer et lui apprendre les ficelles du métier... Et puis si un pion arrivait il serait en retard, il ne verrait personne, ne se poserait pas de questions, et repartirait ni vu ni connu. La décision fut vite prise. Le garçon l'aiderait, et cette beauté qu'il pouvait contempler suffirait bien comme dédommagement.

« Charlie Smith. Enchanté. »

Il n'osait pas dire un mot de plus, il savait qu'il allait bégayer ; tant de beauté en une seule fille c'était pas possible, pas croyable non, elle devait être extraterrestre ou quelque chose comme ça. Ses joues rougirent et il leva les yeux au ciel, un petit soupir se fit entendre, puis il reporta son attention sur Salomé. Di Salomé ? Di devait être son nom de famille dans ce cas. Pourquoi pas ? Après tout lui s'appelait bien Smith, et Smith, bien que courant, pouvait paraître bizarre. Voilà tout.

« Donc t'es bien nouvelle, hein ? Tu viens d'où ? »

Il sourit, d'un grand sourire comme il n'en avait jamais fait. Au final il faisait une tête de plus qu'elle, et une bonne tête, mais il était content quand même et ça lui permettrait de sécher les maths. Il n'était pas un monstre, il n'allait pas planter la fille là ou au contraire l'entraîner dans un placard pour lui faire des choses affreuses. Cette idée n'était même pas envisageable, aussi Charlie s'effraya-t-il de penser des choses pareilles. Vraiment c'était pas croyable ce qu'il avait comme imagination, personne ici n'aurait songé à faire ça, c'était trop horrible, tout le monde ici était gentil et mignon c'est bien connu, alors calme-toi Charlie et pense à autre chose. S'il te plaît.

Charlie passait d'un pied à l'autre et se tortillait comme un ver. Il ne ressentait jamais la moindre gêne devant la gent féminine, mais là, il se disait qu'une beauté pareille devrait être interdite. C'en était presque indécent, ça ne pouvait pas exister. Le garçon se ressaisit et croisa les bras, un peu embarrassé, puis se décida à regarder Salomé comme si elle était une humaine tout à fait normale et non une Athéna venue de nul part. Cette mystérieuse engeance qu'on appelait « femelles » était décidément très étrange, tant par son comportement que ses paroles.

Le jeune homme prit un air compatissant, mais pas trop ; lui-même détestait ce genre de regard, à la fois empli de pitié mais aussi de mépris. Il blâmait l'hypocrisie alors il n'allait pas commettre cette erreur. Charlie jeta un coup d’œil au hall. Les élèves devaient être déjà partis en cours et ce fut avec joie qu'il lui offrit son plus beau sourire. Il était définitivement trop tard pour rejoindre le cours de maths, et puis Mademoiselle Filds n'était pas bien méchante, elle n'irait pas le dénigrer auprès de Moor.

Le visage de Charlie se tordit lorsque Salomé se roula de nouveau en boule pour sangloter, et il poussa un soupir si profond que le découragement put se lire dans son regard réprobateur. Il n'aimait pas voir les gens pleurer, il n'était pas doué pour ça, il ne pouvait s'empêcher de les regarder bêtement sans réfléchir. Mais pour une fois, il s'agenouilla à côté de la jeune fille et passa timidement sa main dans son dos pour la calmer.

« Non, s'il te plaît, arrête. Je sais que c'est dur, mais s'il te plaît, pleure pas, pleure pas... »

Sa voix désespérée ne fut qu'un murmure, il ne voulait pas que les sanglots de Salomé résonnent ailleurs que dans le hall et que quelqu'un soit alerté. Il souffla plus fort, le cœur battant, jusqu'à ne plus savoir quoi dire. Elle devait se calmer, et tout de suite, ou Charlie allait péter un câble. Il se gratta la nuque et se releva légèrement. Déjà épuisé.

Charlie ferma les yeux, tentant de faire le vide dans son esprit. Pourtant il ne cessait d'entendre les sanglots de Salomé, et cela lui faisait mal au cœur, si mal qu'il décida de se boucher les oreilles pour échapper à la flopée de souvenirs qui remontaient par vagues successives. Lui aussi il avait dû pleurer, tellement pleurer. Il se souvenait de toutes les soirées où il s'était endormi sur un cercle mouillé de larmes, où il avait sangloté silencieusement durant des heures, et où il avait souvent nié avoir pleuré devant ses camarades. Alors il ne pouvait pas en vouloir à la jeune fille, c'était normal, elle venait de perdre sa famille. Pourtant elle comprendrait bientôt que vivre était la plus belle chose qu'elle possédait.

Charlie n'avait jamais vu ses parents, mais les avait toujours imaginé de différentes manières. Tantôt ils était de prestigieux notables vivant dans de luxueux châteaux, tantôt ils vivaient sur Pluton dans ses planques secrètes. Il avait tout fait pour redorer son blason, alors qu'il ignorait tout de ses géniteurs. Il savait seulement qu'on l'avait abandonné dans un panier. C'était tout. Et il avait toujours menti à ce sujet. Il refusait d'en parler à qui que ce soit. Et il ne voulait jamais y penser, cela faisait trop mal. Et pourtant un souvenir lui revint. C'était un visage, un visage de moine oui, sûrement celui qui l'avait recueilli pour le placer en orphelinat. Il avait une figure de clown, mais c'était de clown très paisible. Il entendait même ses propres sanglots. Puis le souvenir se brisa, et il n'eut même plus la certitude que c'était vrai. Il confondait souvent la vérité du mensonge, à force d'avoir raconté des craques.

En entendant les paroles de Salomé, il comprit tout de suite que c'était du français. Cet accent chantant, c'était tout à fait ça. Pourtant ce qu'elle venait de dire ne semblait pas être très drôle. Curieux, Charlie sourit et se planta devant elle avant de caresser doucement sa joue, pour ne pas la brusquer, et pour effacer les traces de larmes. Ce qu'elle pouvait être belle avec ses yeux rougis, l'eau salée dans ses cils et le contour de ses yeux... Le jeune homme ferma les yeux puis les rouvrit, histoire de se réveiller pour de bon, et demanda :

« Ça veut dire quoi ça ? »

Il se composa un air rassurant, il ne voulait pas l'effrayer, il ne voulait pas la voir se braquer. Elle répondrait si elle le voulait, mais pour le moment Charlie se contentait de l'apprivoiser, d'agir avec douceur. Il ne savait pas vraiment s'y faire avec les filles mais il avait assez d'expérience en la matière pour savoir qu'être grossier n'amènerait à rien. Il sourit de nouveau, puis laissa retomber sa main. Il voulait la rassurer, elle ne devait pas avoir peur, ne pas être si triste, cela le rendait malheureux lui aussi. Elle ne pouvait pas se laisser aller, c'était fichu sinon, il allait s'en aller, en finir avec elle, la laisser tranquille. Et il ne voulait pas ça.

« Je n'ai jamais dit ça à personne », commença-t-il. « Mais je devais avoir quelques mois quand on m'a abandonné. On m'a laissé dans un carton sur le perron d'un orphelinat. Ça n'est pas très glorieux et j'ai toujours préféré raconter que mes parents étaient astronautes. Tu sais tout maintenant. Mais garde-le pour toi. »

Après cet aveu, Charlie préféra baisser la tête et reculer d'un pas. Il se mit à respirer bruyamment, reconnaître enfin une partie de son passé lui faisait mal, c'était étrange de confier pour la première fois à quelqu'un ce qui le torturait depuis des années. Il était Charlie le conteur à la voix de roi, et il le resterait.

Charlie sentit le rouge lui monter aux joues, il ne pouvait pas détourner la tête sans que cela ne paraisse pas louche. Il se rendit compte qu'il jouait avec ses doigts, il devrait apprendre à contrôler le langage corporel, il ne devait pas laisser son regard ou son corps parler, il avait honte mais il devait le cacher. Ça n'était pas une attitude qu'il avait ordinairement, Salomé s'en rendrait compte très vite, et elle se rendrait aussi vite compte à quel point ces aveux lui coûtaient. Mais Charlie ne demandait rien en retour, elle n'avait pas besoin de lui parler, il savait combien c'était dur de parler de la mort et de sa famille, aussi. Il ne lui demanderait rien.

Mais sa gêne fut à son comble lorsqu'elle l'embrassa sur la joue et le serra contre elle. Les joues du jeune homme s'enflammèrent et il sentit son cœur s’accélérer comme après un marathon. C'était fou l'effet qu'elle lui faisait, irrationnel surtout. Ses joues retrouvèrent bien vite leur couleur d'origine et son souffle se calma, même si ses yeux brillaient d'une lueur dont ils n'avaient sans doute jamais brillé. Salomé ne lui inspirait qu'une profonde sympathie, du moins pour l'instant, et il n'avait pas l'habitude non plus qu'on démontre son affection ainsi. Il sentait encore la pression des lèvres de la jeune fille contre sa joue, mais chassa bien vite cette sensation pour se concentrer sur le moment présent. Encore un peu déstabilisé, il ne se rendit pas tout de suite compte que la française venait de lui poser une question, mais devant son air interrogateur il retrouva complètement ses esprits et arbora un grand sourire.

« Bien sûr, suis-moi, c'est pas très loin. »

La situation avait retrouvé une tournure normale, et cela plaisait mieux à Charlie. Il laissa Salomé empoigner sa valise, estimant qu'elle n'avait tout de même pas besoin de lui, et sortit dans la cour alors qu'elle lui emboîtait le pas. Il la traversa sans prêter attention aux quelques élèves qui s'amusaient pendant leur temps libre, puis emprunta un couloir pour se retrouver face au dortoir des verts. C'était un endroit qu'il appréciait beaucoup parce qu'il y avait passé trois ans de sa vie et que durant ces trois ans il avait appris beaucoup de choses sur cet établissement et sur ses orphelins. C'était là qu'il avait ouvert les yeux, qu'il avait trouvé l'amour pour le perdre ensuite. Et bientôt... et bientôt, les rubans blancs l'attendaient. Il avait toujours rêvé d'en faire partie, même s'il devrait faire ses adieux à ses camarades de chambre jusqu'à ce qu'ils le rejoignent. Ce ne seraient pas de vrais adieux, puisqu'ils resteraient à proximité et dans le même établissement, mais cela risquait de faire mal au cœur quand même.

« Tu peux aller poser tes affaires sur un lit libre », déclara Charlie en souriant. « La partie gauche c'est les filles. »

Il tourna ensuite le dos à la porte, histoire de ne pas jeter un coup d’œil intéressé aux sous-vêtements qui traînaient pas terre, ce serait mal vu, et attendit que Salomé se fut exécutée. Il y avait souvent des lits vides dans les dortoirs, qui attendaient un nouveau propriétaire, de nouveaux draps et un nouvel oreiller, et ça n'était jamais arrivé qu'on manque de place, bizarrement. Même si un jour, il faudrait bien que Moor agrandisse les dortoirs.

Charlie ne sait pas trop s'y faire avec les filles, mais il sait au moins cacher ses émotions sous une couche de vernis, ce baiser bien qu'il soit sur la joue l'a un peu tourneboulé et il ne sait plus que penser. Il a déjà embrassé des filles, certes, mais se retrouver à se confier à une inconnue, en plus d'un baiser de sa part, c'était trop pour son petit cœur de ruban vert. Les limites étaient dépassées depuis Mathusalem. ET OSEF HEIN.

Le jeune homme attendit donc que Salomé ait déposé ses affaires près d'un lit libre, le regard tourné vers l'extérieur. Il se mettait à rêvasser, et songeait souvent qu'un monde meilleur où la mort et les orphelinats n'existaient pas, ça serait le must, mais il se surprit à penser cette fois là qu'il voguait dans l'espace sur un mouton, aux côtés d'une blonde à l'accent fortement français. C'était Salomé mais horrifié de penser une chose pareille, il se contenta d'oublier ça et de sourire, comme tout bon élève qui ne vient pas se songer à des inepties.

La jeune fille revint donc et se campa devant Charlie en lui demandant ce qu'elle devait faire maintenant. Il fut tenté de lui répondre que si elle lui faisait perdre son temps, il serait parti pendant qu'elle mettait ses draps, mais n'en fit rien. Il se contenta de se gratter la tête et de répondre bien gentiment :

« Ben, il faudrait que tu ailles voir Moor, pour les papiers étoussa. Mais là elle fait sa pause-café et si tu la déranges... tu finiras dans son sucrier. »

Ça n'était pas une plaisanterie à proprement parler, mais BORDELEUH, CRITIQUE PAS MES BLAGUES.
Et putain. L'inspi qui n'est pas au rendez-vous versus la volonté de se mettre à jour ! Ça clashe sévère dans les rps après. Mais bon, tant pis.
Alors le p'tit Charlie, enfermé dans un sucrier de Mathusalem, c'est notre protagoniste hein ? Oui bon alors, il regardait Salomé, se perdait dans ses yeux... mais revint à la réalité présente. (dat blague)

« Je te fais visiter ? »

Un ton joyeux et engageant, signe que cela ne l'ennuyait pas, au contraire. Il séchait les maths et rester en aussi bonne compagnie ça n'arrivait pas tous les jours. Alors Charlie eut une pensée pour sa professeure, la petite Pen.

Et il lui dit :

NO COMMENT.

Non, c'était pas drôle Charlie. Ta vanne a fait plouf, ta vanne a sombré. Tu te sens con tout à coup, t'as envie de disparaître de là, surtout que t'as pas l'habitude de faire si peu d'effet sur les gens comme ça. Tu t'es toujours vanté et les autres t'admirent pour ça, ils t'admirent pour ce que tu es parce qu'ils aiment ce que tu es devenu. Et tu crois être quelqu'un de bien alors ce que tu fais, c'est juste briser la vie des gens par des rumeurs, raconter des choses c'est difficile et tu sais bien t'y prendre, mais pas toujours les orphelins apprécient ça. Dans l'envers du décor t'as des ennemis, t'as des rivaux, des gens qui t'aiment pas, mais ça tu préfères le cacher parce que t'es mal dans ta peau et tu as peur qu'on t'abandonne.

Puis tu attends que Salomé aille poser ses affaires et faire son lit, tu oses pas venir l'aider parce que tu sais que c'est interdit d'entrer dans le dortoir des filles, c'est l'une des seules choses que tu respectes mais c'est surtout pour ne pas perdre les regards qu'on a sur toi que tu ne le fais pas. Et encore tu pourrais trouver le moyen de le faire sans changer grand-chose dans ta vie, juste que t'es avec une nouvelle et que t'as pas envie de briser ce qu'il se passe, si ce n'est pas déjà fait. Tu souris, elle revient, mais un gros silence s'installe avant que tu ne le brises. Elle te répond, sa voix a changé, tu déchantes un peu, déçu. Elle a l'air un peu coincée, bon ça c'est pas grave on peut y remédier mais t'as l'impression qu'elle te cache des trucs derrière ses sourires enjoués, mais tu veux pas lui tirer les vers du nez, ça ne se fait pas.

« On va commencer, par... par la bibliothèque ! »

T'as lâché ça avec joie, elle a oublié ta vanne vaseuse et ça tu l'en remercies, enfin dans tous les cas elle n'en parle pas et cela flatte ton ego. T'es plus souriant que tout à l'heure, plus sincère, même si tu penses à autre chose, à quelqu'un en particulier en fait. Tu te demandes comment réagirait Aurore si elle te voyait en compagnie de Salomé, cette pensée te fait grimacer parce que c'est certain que ça clasherait sévère, et toi t'en veux pas de la violence, t'es violent que quand t'es bourré et encore tu l'as jamais été qu'une fois dans ta vie, et y a longtemps en plus.

Tu te diriges vers la bibliothèque, t'aimes pas trop cet endroit mais à tes yeux c'est important de le faire visiter, après tout si la jeune fille aime lire et se cultiver c'est l'endroit le plus indiqué pour assouvir ses passions. T'y as déjà mis plusieurs fois les pieds, l'odeur des livres est désagréable pour toi malgré le calme et le silence qui y règnent. Tu en es toujours ressorti plus détendu mais cela est incomparable à la poussière qui est accumulée ici, à croire qu'on ne nettoie jamais, ce qui est fort possible. Enfin bon, t'as beau avoir un avis mitigé, tu souris quand en pénétrant dans l'antre du savoir, tu sais que tu pourras être tranquille ici autant que tu y resteras.

Charlie n'ose plus vraiment la regarder, à vrai dire il a plutôt honte de ce qu'il s'est passé jusque-là, il a montré la mauvaise facette de lui-même, celle qu'il ne sait pas contrôler, celle qui se demande toujours qui il est et qui doute toujours trop. Le jeune homme tente un sourire mais le résultat est plutôt raté, dans ce genre de situations gênantes il a toujours du mal à se montrer sincère, il a l'impression d'être un pantin grimaçant, un robot, un monstre même, il n'aime pas être dans cet état-là et la présence de Salomé n'y est pas vraiment pour rien. Même si Charlie le cache le plus possible, il sait qu'un jour tout ça lui retombera dessus. Eh bien tant pis : ce jour est encore trop loin pour y penser.

Salomé brise alors le silence, Charlie remercie mentalement le ciel et tous les dieux qu'il connaît, puis il lance un regard de gratitude à la jeune fille, il ne se soucie même pas de si elle le voit ou non, il est juste heureux d'avoir autre chose à dire que les bases obligées pour cette visite, du genre « c'est les toilettes » ou « ça, c'est une salle de cours, on dirait pas, mais c'en est vraiment une ». Charlie se rend compte que cela fait quelques secondes qu'il aurait dû répondre à la question de Salomé, quelques secondes de trop et ça ne semble pas tourner à son avantage, il tente de masquer son désarroi par un sourire, ça semble marcher. Il ouvre enfin la bouche :

« Euh... Normalement, oui. Mais je n'y suis entré que dans le cadre des cours de musique. Le professeur Blake est sympathique, mais il y a des limites... »

Non Charlie ne venait jamais voir ses profs en-dehors du cours, sauf la fois avec Takayasu, mais ça c'était encore différent. Il préférait de loin se retrouver au milieu de ses amis qu'entouré d'une dizaine de professeurs tous plus relous les uns que les autres, ce qui semblait être étrangement le cas dans cet établissement. Le jeune homme eut alors une idée, il se tourna vers Salomé en souriant, avec franchise cette fois, il avait envie de retrouver l'éclat dans ses yeux et les fossettes de ses joues :

« Je peux t'y emmener si tu veux ! »

Après tout elle venait de perdre ses parents, ça devait être assez difficile – sûrement plus que Charlie ne pouvait l'imaginer –, et il comprenait qu'elle ait besoin de se changer les idées. Comme elle semblait aimer la musique, d'où sa question, le garçon avait décidé de lui redonner le sourire en lui vendant du rêve. Elle pourrait sûrement passer des heures dans la salle de musique si ça lui chantait, à jouer de la flûte à bec ou encore du piano en passant par les percussions, et ça, il s'en moquait royalement tant qu'elle pouvait être heureuse.

Charlie était plus mal à l'aise qu'autre chose. Mais comme il n'avait pas l'habitude de le montrer, il se contenta de garder le silence en jouant maladroitement avec ses mains. L'esprit ailleurs, il conduisit sans réfléchir Salomé à ladite salle de musique. Il ne savait pas vraiment ce qu'elle renfermait exactement ; à vrai dire, il n'y avait jamais fait attention, mais Lom avait l'air intéressée. Il la laissa s'approcher du piano sans protester et la regarda avec surprise s'asseoir sur le tabouret, ouvrir le piano et laisser ses doigts voler sur les touches. Coi, il l'écouta pendant plusieurs minutes avant qu'elle ne s'arrête pour se lever et s'excuser. Il sourit, la mélodie résonnant encore dans sa tête.

« Non, c'était très beau. Beau et magique. »

Il l'aimait bien finalement, cette petite ! Tout sourire, il l'écouta une nouvelle fois. Il aurait bien aimé qu'elle joue une seconde fois. Quelque chose de plus joyeux, pour leur remonter le moral à tous les deux. Mais il n'osa pas lui demander cette faveur, reconnaissant que cela n'était pas très correct après tout ce qu'il avait fait. Personne n'avait jamais envie de le remercier de quelque manière que ce soit. Alors pourquoi elle ? Réfléchissant à la suite de la visite, Charlie se posa soudain une question. Il tourna la tête vers Salomé, et, tandis qu'il la menait discrètement vers l'entrée du passage secret, il demanda :

« Tu sais jouer d'autres instruments ? »

Lui, il était évident qu'il n'avait jamais touché à un piano ou à une flûte de sa vie. Même pas une guitare. Il aurait bien voulu, mais la vie ne semblait pas l'avoir doté d'un talent musical. Enchanté par la tournure que prenaient les événements, le garçon se mit à sautiller légèrement dans le couloir. Son but était entre autres de ne pas se faire remarquer face aux surveillants qui patrouillaient, mais il ne pouvait s'empêcher de montrer sa joie d'être là, sa joie de vivre.

Un demi-sourire aux lèvres, Charlie tentait de se donner un air enjoué. Le fait que Salomé s'intéresse à lui signifiait, soit qu'elle s'ennuyait et donc qu'elle cherchait un sujet de conversation, soit qu'elle s'intéressait réellement à sa vie. Charlie se frotta le front un instant sans s'arrêter de marcher, hésitant un peu. Il ne pouvait pas lui dire qu'il ne connaissait pas la réponse à cette question, mais il ne pouvait pas dire non plus n'importe quoi. Il savait que Lom verrait ses mensonges. Il opta donc pour la vérité toute simple et toute nue :

« J'aime raconter des histoires », lâche-t-il laconiquement.

Il ne s'attarde pas et continue son chemin, faisant comprendre à la blonde qu'elle devait éviter de poser des questions du même genre. Bien heureusement, elle passa à autre chose et remarqua les têtes d'enterrement des gens qu'ils croisaient dans le couloir. En soupirant, Charlie se demanda encore une fois comment lui expliquer que, sensiblement, c'était permanent. Il se mordit la lèvre et baissa les yeux, puis les releva et se tourna vers Salomé.

« Eh bien, disons que les gens ici ne sont jamais très joyeux... Tu t'y feras. Tout le monde s'y fait. »

Certaines personnes s'adaptent plus vite que d'autres, mais Charlie ne doutait pas que Lom y arrive un jour. Il ne la connaissait pas encore, mais d'après ce qu'il avait vu jusque-là, elle avait l'air très intéressante. Peut-être qu'elle accepterait de lui apprendre une mélodie au piano ? Ce n'était qu'une pensée, mais au fond le garçon en avait envie. Peut-être. Sûrement. Sans doute.

Charlie ne sourit plus trop, à vrai dire il est préoccupé, des tas de trucs le travaillent et il hésite à en parler à Salomé. Il sait qu'il peut avoir confiance en elle, après tout il lui a confié son passé à son arrivée sans même la connaître, mais il ne sait pas comment elle réagirait et il a peur. Il se contente de regarder droit devant lui, haussant les épaules. Peu importe qu'elle soit là quand il racontera des histoires aux orphelins, cela reviendra au même. Un auditeur de plus ou de moins...

Il se rend alors compte qu'il commence lui-même à tirer une tête de deux mètres, il se reprend et tente de sourire, sans succès. Son esprit a sûrement décidé d'être de mauvaise humeur aujourd'hui et il ne pourra pas le changer. En soupirant, il baisse les yeux, oubliant que Salomé le suit et qu'elle en attend sans doute beaucoup de lui. En revanche son subconscient le mène à sa destination, l'entrée du passage secret, indispensable à Lom si elle veut pouvoir sortir de l'orphelinat clandestinement.

« Je m'en souviendrais. »

Il n'a pas trop prêté attention aux paroles de Salomé et il enregistre ça machinalement, comme si c'était quelque chose d'absolument normal. Il s'approche alors de la tenture rouge tendue au fond de l'impasse, à gauche il y a une porte, un placard de rangement si ses souvenirs sont bons. Il regarde derrière lui, attentivement, silencieux, vérifiant que personne ne le voit. Puis il regarde Salomé et la fixe droit dans les yeux.

« Ici tu as l'entrée du passage secret. C'est le seul existant, du moins cette année. Il y en avait d'autres, mais le concierge les a fait boucher. Celui-là est le seul survivant. N'en parle à personne autour de toi... Les surveillants ont des oreilles partout. Même si je me doute que certains connaissent l'entrée sans jamais la révéler... »

C'est sûrement le truc le plus cool que les surveillants puissent leur faire. Moor n'a pas dû bien surveiller les ouvriers qui construisaient le bâtiment, car quand Charlie est arrivé ici, il y avait des tas de passages, peu à peu découverts et rebouchés. Mais seul celui-là est encore « vivant », à la plus grande joie des orphelins.

Charlie la regarde, elle observe l'intérieur du passage secret. Il se retourne pour fixer le couloir, histoire d'éviter qu'un surveillant n'arrive, mais lorsqu'il tourne la tête de nouveau il remarque que Salomé n'est plus là. Il ouvre la bouche, stupéfait, ne pensant pas qu'elle irait jusqu'à traverser le passage secret seule dans le noir. Après tout elle n'est pas en sucre, mais... bon. Charlie pousse une grande inspiration et soulève la tenture, s'engouffrant dans le passage. Sourire aux lèvres, il se redresse, pliant le cou. Il est un peu trop grand, mais ce passage secret est sans doute le lieu qu'il a le plus visité durant toutes ces années ici. Il un peu grandi et vécu avec lui. Il pose sa main contre le mur de droite et tâtonne pour trouver son nom, qu'il a gravé dans la pierre. Il suit des doigts les lettres maladroites. « Charlie ». Il se rappelle alors que Lom est juste devant lui ; il fouille la pénombre des yeux et la repère, quelques mètres plus loin.

« Tu comptes aller jusqu'au bout ou tu veux qu'on rentre ? »

Il se rapproche d'elle. Ils sont seuls, il serait bien tenté de faire une connerie, mais il rougit à cette pensée, il est vraiment ridicule. Il n'est pas vraiment de ce genre-là, en plus, et puis Aurore lui en voudrait. Il soupire, Aurore, toujours Aurore, parfois elle l'agace celle-là. Il pince les lèvres et hume l'air, pour une fois ça ne sent plus le moisi et l'humus mais le parfum de Salomé, il sourit, il aime cette odeur-là et il espère qu'il s'en souviendra jusqu'au coucher.