Marlene se sentait tout chose. Surtout quand elle tenait la main de Leah comme ça. Enfin, qu'elle s'y agrippait. C'était une sorte de bouée de survie. Elle la serrait fort, très fort, quand elle se sentait sur le point de craquer. Et c'était comme un code aussi. Ça signifiait qu'elle se sentait mal. Qu'elle avait envie de hurler. Que si elle ne tenait pas Léandre, elle allait chialer comme une gamine. Sombrer. Rire. Ces émotions surgissaient toujours à l'improviste ces derniers temps. Les hormones ont bon dos... Mais Marly en avait marre, parfois. Souvent. Tout le temps, jamais. Elle ne savait plus vraiment. Elle était perdue, un peu, complètement. Elle voguait entre tous ces adjectifs sans savoir à quoi se raccrocher. Sauf à la main de Leah.

Et là, quand elle marchait, elle n'entendait même pas le bruit de ses pas. Juste son pouls battre dans son crâne comme dans une grosse caisse. Elle ne voyait plus les orphelins marcher autour d'elle. Elle était dans sa bulle, rêveuse. Elle n'y incluait même pas Léandre. Enfin, si, un peu. Il était présent dans ses pensées. Partout autour d'elle, il était là, il souriait. Il ne la lâchait pas. Jamais. Même dans ses rêves il la suivait. Il ne partait jamais. Il ne l'abandonnait pas. Il se contentait de serrer ses doigts, très fort. Comme dans le moment présent. Comme il le ferait à jamais pour Marlene.

Elle sentait son cœur palpiter au creux de son cou. Dans le même temps, son regard fut attiré par la bague glissée à son doigt. Celle de Léandre. Non loin, sur le même bras, il y avait son bracelet. Elle avait plusieurs bouts de Leah avec elle. Dont un dans son ventre. Elle posa discrètement une main là où les rondeurs commençaient tout juste à apparaître. Elle espérait qu'on ne le remarquerait pas. Elle avait choisi des habits amples exprès pour cela. Mais elle ne ferait pas long feu. Si ils ne partaient pas bientôt d'ici, tout le monde serait au courant. Seulement la démarche était longue et compliquée. Mais ils y arriveraient, elle en était certaine. Ils abrégeraient les complications.

Marlene entra dans le hall aux côtés du jeune homme. Elle ne se sentait pas de le quitter. Elle écouta donc les discussions autour d'elle d'une oreille distraite, avant de se rendre compte que le concierge avait commencé à énoncer des binômes et que Léandre venait de se détacher d'elle. Elle paniqua. Elle n'avait pas vraiment écouté ce qu'il s'était dit. Il se passait quoi au juste ? Elle le vit s'approcher d'Anna Caldwell. Anna Caldwell ? Merde alors. Elle sentit son cœur s'affoler et elle répondit au regard noir que la jeune fille lui lançait. La rage l'envahit. Elle crut avoir atteint le summum de la colère. Il n'en fut rien. Surtout lorsqu'elle entendit le nom de la personne qu'on lui avait attribué. Elle faillit exploser et sortir de la pièce en hurlant.

Violet Davis. Avait-elle bien entendu ? Elle mit quelques secondes à réaliser, puis, les jambes flageolantes, sans savoir où regarder, elle s'avança au milieu de la pièce. Violet. Elle était là, juste devant elle. Elle détourna le regard, les larmes aux coins de ses yeux. Non, cette fois-ci elle serait forte. Elle ne pleurerait pas. Elle ne gâcherait pas son après-midi, ni celui de Leah par la même occasion. Elle avait confiance en lui. Il n'y avait plus rien entre Anna et lui. D'ailleurs, il y avait intérêt. Le fait d'être mise avec Violet comme ça, comme du vulgaire bétail, la rendrait violence. Elle ne voulait pas de ça. Elle ne voulait pas non plus des regards de Léandre et Anna qui les surveilleraient comme un troupeau de mouton pas sage. Elle ferait juste attention à ne pas laisser sa colère déborder. Elle s'acharnerait sur la nourriture plutôt que sur Violet.

Une fois éloignée du concierge, elle choisit la table la plus éloignée de celle de Leah. Elle ne voulait pas affronter son regard. Et, au fond, elle lui en voulait un peu pour ce qu'il venait de se passer. Elle se servit un grand verre de punch. Il lui fallait au moins ça pour essayer d'être conciliante avec Violet. Elle s'était promise de faire autant d'efforts que possible. Il fallait mettre ses résolutions à plat. Les rendre réelles. Tenir sa promesse envers elle-même. Elle soupira en voyant Violet d'asseoir en face d'elle. Elle but une gorgée, puis la regarda enfin. Mais merde, cette idée de binômes étaient complètement stupide ! Et il avait fallu qu'elle tombe sur Violet.

« Ok. Puisqu'on va passer la soirée ensemble, autant mettre les choses au clair. Tu parles pas de vos conneries et j'en parle pas non plus. Comme ça tout va bien dans le meilleur des mondes ! »

Oh, c'était méchant, c'était gratuit. C'était bas, surtout. Mais elle n'avait rien trouvé d'autre à dire. Elle but une autre gorgée de punch. Autant faire les choses en entier. Elle allait se faire chier, c'était certain. Elle posa son verre et soupira. Elle avait honte, elle avait pitié d'elle-même. C'était elle la méchante, la jalouse, la possessive dans l'histoire. Violet n'était pas la gentille non plus, elle était en tort comme tout le monde. Mais le problème avec Marly, c'est qu'elle avait la rancune tenace. Et le genre de choses que Vi avait fait, elle ne pouvait pas l'oublier. S'il y avait bien une chose que le temps n'effaçait pas, c'était ça.

Marlene masque sa colère. À vrai dire elle se sent plus fatiguée que furieuse, mais elle n'en montre rien. Son petit ventre peut paraître aussi suspect, alors elle fait de son mieux pour le cacher. Prenant une grande inspiration, la jeune fille porte de nouveau le verre de punch à ses lèvres, avant de capter le regard orageux de Léandre. Elle se stoppe net avant de boire finalement une gorgée ou deux, et de poser le verre. Quoi ? Elle n'a pas le droit de boire, elle ? Elle a aussi des choses à oublier. Son binôme n'est pas son ex, mais la fille qui a tenté de lui piquer son copain. Alors c'est pire qu'Anna. Quoique.

Marly se sert, silencieuse, d'un peu de salade, avant de jeter de nouveau un coup d’œil vers Leah. La scène sur laquelle elle tombe lui fait manquer le malaise. Elle fixe, immobile, interloquée, Léandre et sa binôme enlacés. Anna paraît tendue, Leah comme d'habitude. La blonde est prête à se lever pour courir mettre une beigne à Léandre ET Anna, mais elle n'en fait rien. Ce serait une mauvaise idée. Verte de rage, Marly bouge sa main et renverse sans le faire exprès son verre sur la nappe. Elle jure avant de redresser le récipient et de prendre une serviette pour limiter les dégâts. Elle lève la tête vers Violet, oubliant sa rancœur, et demande en pointant du menton Anna et Leah, qui paraissent plus proches que jamais :

« Ils ont toujours été aussi proches ? »

Elle soupire, cette jalousie qui l'étouffe devient invivable. Si elle doit s'énerver dès qu'elle voit Leah dans les bras d'une femme, elle n'est pas arrivée. Mais c'est aussi à lui de comprendre que, techniquement, ils s'appartiennent, et qu'il n'est pas censé aller voir ailleurs.

Marlene s'énerve. Elle a des envies de meurtre, soudain. Mais elle comprend aussi que si elle vient déranger Anna et Léandre pour une histoire de jalousie, elle risque de le regretter. Elle se contente de garder le silence, sans oser lever les yeux vers Violet. Son cœur s'emplit de reconnaissance alors que la jeune fille l'aide à essuyer le punch sur la table. Au moins quelqu'un qui la comprend. Qui est là. Et qui ne se fout pas totalement de ses sentiments. Elle sourit avec une gentillesse à peine masquée. Mais sa rancœur et sa colère reprennent vite le dessus et elle retrouve son visage froid et inquiet. Leah a du simplement faire part à la brune de son départ. Et du bébé, peut-être. Et aussi du mariage. Sans doute. Cette pensée énerve Marly. Elle n'aime pas l'idée que quelqu'un d'autre soit au courant, que ce soit Anna ou Violet, en passant par Luke et Loreleï. Elle frémit et lève le regard vers Violet.

« Oh. Il a dû lui dire pour... » Elle se tait brusquement. Elle fait une connerie, là. « Laisse tomber. »

Elle cligne des yeux et pose son verre loin d'elle. Elle se sert un peu de salade pâtes et enfourne une grande bouchée. Elle a besoin de s'occuper un peu l'esprit, histoire d'oublier tout ce qui l'embête ces temps-ci. Et même si elle a envie de crier, de cogner, elle n'en fera rien. Marlene sait quand il faut qu'elle explose, et quand il faut qu'elle se taise. Tout en mangeant, elle continue de parler, parce que ça lui fait du bien, et qu'elle sait que Violet ne peut plus grand-chose.

« Alors, Violet. Tu survis, ici ? »

Elle parle de l'orphelinat. Et, apparemment, elle s'est trouvé le joli passe-temps de piquer les copains des autres. Marly baisse les yeux et pousse une grande inspiration. C'est difficile de se dire que Vi n'y est, techniquement, pour rien. C'est Léandre qui a commencé. Et c'est le plus dur à accepter. Prête à se mettre à pleurer au souvenir de ce qu'elle a vécu les dernières semaines, elle renifle simplement et plante sa fourchette dans sa salade. Elle se mord la lèvre. Ne pas pleurer. Sauf que c'est trop tard et qu'une larme vient de dévaler sa joue, suivie par des dizaines d'autres.

Marlene n'en peut plus d'avoir Violet en face des yeux. Elle n'a toujours pas compris qu'elle ne veut pas de ses excuses ? Elle s'en fout. En ce moment elle se fout de tout. Il n'y a plus rien qui compte. Elle va avoir un bébé et elle a tellement envie d'en parler... Rien que pour être satisfaite. Satisfaite d'avoir tout dit à Vi sans que Leah soit au courant. Mais c'est une mauvaise idée. Ce serait mesquin. La jeune fille le mérite mais Marly ne peut pas faire ça, par égard pour Léandre. Alors elle ne le fera pas. Par respect. Elle est plus humaine que certaines peuvent le croire.

« Je t'ai dit que tout allait bien. Regarde, on s'éclate. J'ai pas besoin de tes excuses. » Elle souffle longuement. « Par contre, si tu le touches une fois de plus... »

Elle ne termine pas. Elle n'a rien à dire, rien à faire. Elle ne pourra pas se venger si ça arrive une fois de plus. Dans ce cas-là elle quitte Leah et elle s'en va vivre à Tokyo avec Loreleï et Lou-Ann. Voilà. Et elle avorte, aussi. Elle a laissé une seconde chance à tout le monde et elle espère ne pas le regretter. Léandre n'était pas comme ça, avant. Au début de leur relation.