Il est des jours, où, pour une raison inconnue, la moindre chose exaspère. Un geste, un mot. Une bousculade, une insulte. Le plus petit des défauts devient la plus grande des tares.
Certains disent que c'est parce qu'on s'est levé du mauvais pied. Ce serait vrai pour Lizzy, si on définissait exactement le fameux mauvais pied. Certains disent que c'est le gauche. Sauf que ce matin, Lisbeth s'était levé du pied droit, mais son humeur était aussi exécrable que si elle s'était levée du pied gauche. Toute une théorie fumeuse.
Son sommeil avait été agité par des fantômes du passé, et toute la nuit, une musique idiote l'avait poursuivie. Ça faisait Tududu, ou plutôt Tuuu-dudu. Enfin, peu importait. C'était un air débile qu'elle aurait aimé sortir de son crâne. Par la force, si cela put être possible. Avec une cuillère, ou une fourchette, ou une hache, ou, bon sang, n'importe quoi qui lui venait sous la main. Une chaussette... Elle l'enfila en maugréant. À moins de vouloir cambrioler l'épicerie du coin, en faisant deux petits trous pour les yeux et un plus grand pour la bouche, cette chaussette ne lui servirait pas à grand chose. Harcelée par cette chanson incessante, elle se dirigea vers le miroir pour dompter ses cheveux épais. Les gueux s'emmêlaient pour un rien. Un rien. Beaucoup de filles rêvent que, pendant leur premier baiser, le garçon passe la main dans leur cheveux. En plus de trouver cela ridicule, Lizzy estimait que c'était – coucou, ironie – une excellente idée. Si son cher et tendre souhaitait être lié à elle définitivement, bien sûr...

« Qu'est-ce que c'est que cette tronche ? grogna-t-elle en voyant son reflet »

Yeux cernés de mauve, joues creusées, teint livide. L'ultime panoplie du zombie de la Nuit des Morts Vivants... Sacré Romero. Peut être avait-il vu Lizzy dans le futur ? Ha. Ha. La ressemblance était plus que frappante. Quatre fois, cinq fois, sa brosse se retrouva coincée entre deux mèches rebelles, trop faible pour résister à la puissance dévastatrice des nœuds. Elle décida d'abandonner, et se dirigea vers la porte du dortoir, tandis que les autres filles se décidaient enfin à s'habiller. Pour une fois qu'elle n'était pas la dernière. Non pas qu'elle prenait son temps pour "se faire belle, elle aimait juste traîner au lit.
Et puis, elle passa près de cette pimbêche de Marlene. Pimbêche, pimbêche, c'était un grand mot. Elle l'agaçait juste un peu. De temps en temps. Enfin, souvent. Enfin... Voilà. C'est un grand mot.
Juste que cette fois là, les circonstances, et peut être un soupçon de rancœur jusqu'ici dissimulé, lui fit ouvrir la bouche. Peut être un peu trop vite.

« Blablabla, blabla. Est-ce qu'un jour, tu la fermeras, Marlene, ou toute ma vie, j'aurai le droit à des nuits et des jours, cent pour cent pur O'Brien ? »

Il y avait des jours qui s'annonçaient mal, rien que par le fait qu'on pouvait rêver de choses abominables. Et c'est ce qui était arrivé. Marlene avait rêvé que tous ses amis, et même Mrs Moor, se transformaient en animaux bizarres et bruyants, qui la harcelaient jusque dans son esprit. Quand la jeune fille se réveilla, en sueur, dans son lit, elle se laissa tomber sur le matelas, les bras en croix. Ça la rassura tellement qu'elle oublia de glisser ses pieds sous la couverture, et qu'elle passa le reste de la nuit ainsi, les orteils dépassant du lit.

Le lendemain matin, les cheveux ébouriffés et les doigts de pieds frigorifiés, elle s'attira tous les regards avec son teint grisâtre et ses yeux soulignés de grosses cernes foncées. Ô, la belle Marlene toujours élégante, ressemblait à un loir qu'on vient de tirer de son lit après un sommeil particulièrement agité... Elle ne payait pas de mine, et son honneur en fut lésé. Ignorant les racontars qui se faisaient sur elle, elle se dirigea vers les douches des filles.

C'était un endroit qu'elle détestait tout particulièrement : austère, vide, froid... Et il fallait attendre que toutes les fillettes se soient enfin lavées pour entrer dans une douche ! Et, la plupart du temps, elle devaient se partager des cabines... Moor ne s'était vraiment pas foulée pour financer les salles de bains, ici. Et c'est de mauvais poil – encore plus qu'à son réveil – que Marlene foula de nouveau le sol de son dortoir. Aussitôt, elle se mit à se plaindre à ses camarades, qui se mirent à quitter la pièce discrètement. Quand elle commençait ses lamentations, elle finissait toujours pas devenir hystérique, et accusait tout le monde. Pour elle, même la directrice était responsables de « ses malheurs ». Et, bien qu'elle sut que les autres fille ne l'appréciaient pas vraiment pour ses manières, elle ne s'arrêta pas.

Ses gémissements incessant finirent par agacer la plupart des pensionnaires, et, lorsque Marlene arriva au stade des critiques ouvertes sur la manière dont on la traitait dans cet établissement, elle cessa ses jérémiades, butée. Une jeune fille – Lisbeth, si elle se souvenait bien – venait de l'interrompre avec une réplique acerbe qui fit glousser la plupart des orphelines. Ne supportant pas qu'on lui manque de respect, Marlene ouvrit la bouche pour parler, mais les mots refusaient obstinément de sortir. Elle se récita mentalement tous les jurons qu'elle connaissait, n'en trouvait pas un assez raffiné, et se surprit par la richesse de son vocabulaire.

« Bonjour à toi aussi », rétorqua-t-elle simplement. « Tu es toujours aussi désagréable ? »

Marlene croisa les bras, prête à une confrontation. Lisbeth ne lui faisait pas peur, loin de là ; elle appréhendait juste le moment où elle ne trouverait plus rien à dire. Elle sembla chercher un instant quelque chose de subtil à dire, quelque chose qui clouerait le bec à sa camarade, mais rien ne lui vint. Elle devrait vraiment enrichir son vocabulaire niveau réparties.