Quand certaines choses s'arrêtent brutalement, on peut tomber dans le déni. Shay n'a pas envie de croire que son couple bat de l'aile, que certaines personnes vont mal, qu'elle est sur le point de basculer du mauvais côté du miroir. Elle n'en peut plus. Même les moments passés avec Esther n'atténuent plus rien, ni la douleur, ni les regrets. Elle tient l'arme qui va l'achever. Elle est responsable de tout, elle a fait tellement de conneries. Et ses doigts qui jouent avec le métal froid du revolver comme si ça allait changer quelque chose, comme si les larmes seraient moins amères. Elle peut poser le canon contre sa tempe, sentir sa froideur et la mauvaise sueur qui lui coule du dos... mais elle se sent puissante. Elle se sent puissante parce qu'elle a le pouvoir de tuer, le pouvoir de se souiller les mains de nouveau. Elle préfère mourir dans le malheur. Au fond, ils se trompent tous. L'amour c'est pas des caresses au réveil, des sourires dans les yeux et des baisers qui racontent des histoires, c'est juste des cris, du sang, des larmes. Des envies de meurtre, de liberté. Shay elle a juste envie de s'enfuir le temps que l'histoire se finisse. Elle veut juste la paix, la vraie, pas celle qu'on croit vivre quand on est debout face à ses actes. La jeune femme hésite un instant, le doigt sur la détente. Elle vient d'enlever la sécurité, elle peut tirer à tout moment. Et puis tout devient un peu plus flou, un peu plus opaque. Mais elle y voit clair, putain, elle y voit clair. Elle est là, debout au milieu de cette ruelle sombre, la chemise déchirée, mais elle est encore debout. Elle a peut-être les bras pleins de suie, les jambes boueuses, plus de chaussures. Elle a peut-être le bras lourd à force de pointer le canon du flingue contre sa tête. Elle a peut-être le visage sale et rongé par les remords, elle a peut-être l'envie imminente d'appuyer ce doigt contre la gâchette...
Mais elle est debout.
Elle est là, encore, pas à genoux. Elle s'est pas laissée faire par la vie. Elle emmerde la mort, elle et son sommeil éternel. Elle l'emmerde, parce qu'elle veut vivre, elle veut se donner le luxe de respirer à sa guise, de sourire alors que tout va mal, de voir les choses s'écrouler autour de toi mais d'être encore debout. Elle a cette satisfaction là, Shay.
Elle laisse tomber l'arme à terre avec un bruit métallique. Elle hait ce bruit. Elle a tenu tant de fois un revolver dans ses mains, il y a longtemps. Elle a appuyé tant de fois son doigt sur la détente, pour voir une pluie de sang, puis plus rien. Mais elle a peut-être pris la vie de certaines personnes, elle n'en prendra pas d'autre. Pas la sienne en tout cas.
Shay s'arrange un peu les cheveux. Ils sont sales et emmêlés mais elle pense que ça fera l'affaire. Il y a plus qu'à retourner à Moor pour se laver discrètement avant de rentrer. Et de passer une nouvelle nuit sur le canapé... La blonde ne veut plus penser à ça pour l'instant. Elle décide de passer par la plage, parce qu'elle aime le bruit du ressac, les mouettes qui couinent une dernière fois avant d'aller dormir... Mais une ombre la fait hésiter un instant. Il y a quelqu'un par ici, qui ça peut bien être ? Elle s'approche lentement, mais trop tard, l'orphelin la remarque... Son sang se glace lorsqu'elle croise le regard de William Crown. Mais il paraît être en bien mauvais état au vu du sourire et du salut qu'il lui lance, tout guilleret. Ok. Il a trop bu, et il est même peut-être drogué.
« Q-Qu'est-ce que tu fais là ? » Vu qu'il ne semble pas la reconnaître, elle se dit qu'elle peut jouer les cartes du hasard. Elle lui fera peut-être comprendre qu'il ne peut pas lui en vouloir, sans lui dire vraiment qui elle est. Elle esquisse un faible sourire.