Tout recommençait. Cette vie, normale, un peu comme toute les autres reprenait. Cette vie dont Esther se lassait si vite, cette vie qu'elle détestait tant. La routine s'était installée depuis maintenant bon nombre de jours, et même d'années. Sa vie était la même, alors que la rousse changeait peu à peu. Elle était perdue, comme elle l'avait toujours été. Perdue à ne plus savoir ce qu'elle voulait, perdue à ne plus savoir quoi penser. Cette vie, elle voulait bien la changer, mais même dans ses rêves elle en était incapable. Esther ne se supportait plus, elle ne pouvait même plus se voir dans un miroir. Elle se dégoûtait, comme jamais elle ne s'était dégoûtée. Elle était devenue fade, comme son quotidien. Et au fil du temps cela s'empirait, sans qu'elle ne s'en rende compte. Sans qu'elle ne puisse le voir. Elle était devenue aveugle. Le temps filait, comme elle. Il filait vite, la laissant victime de mauvais coups, comme toute personne vivant sur cette terre. Elle se prit alors un reproche en pleine face, qui la fit revenir à la réalité : Elle n'était pas assez réactive. Elle se perdait trop, dans ses affreuses pensées. Elle devait faire attention, elle était là pour travailler et n'était certainement pas payé à rien faire. Mais bon sang s'ils savaient comme elle aimerait. Elle s'était même prise à rêver de voir son salaire tomber en restant simplement chez elle, sans avoir à sortir. Mais ce rêve était celui de milliers de gens. Elle savait bien que ce boulot, elle n'allait pas tarder à le perdre. Elle ne s'y rendait pas comme une gamine ayant décidé de sécher les cours, comme la gamine qu'elle avait été. Des cours, elle en avait manqué, un peu trop. Mais cela n'avait pas pu lui coûter autant que ce petit jeu allait lui coûter à présent. Elle grogna, lançant un regard noir à son collègue, qui l'embêtait bien sur le moment. La salle n'était pas très remplie, mais il y avait de quoi travailler. Comme d'habitude, malheureusement. Elle se dirigea vers une table au hasard, la tête baissée. Elle était distraite, comme d'habitude. Et elle reprit ce sourire, faux. Celui qui voulait juste dire, regardez, tout va bien je suis comme les autres. Elle lança la phrase qu'elle balançait à tout le monde, celle qui la gavait tant depuis le premier jour. "Vous désirez ?" Elle mit un temps à relever la tête, et fixa le visage de la femme assise. Il lui semblait familier. Un peu trop. Elle avait l'impression de la connaître, de très bien la connaître. Cela lui paraissait étrange. Elle réfléchit, fouillant dans sa mémoire, mais décida de faire autrement. "Excusez moi... je peux vous demander votre nom ?" Elle était gênée et avait honte. Elle savait que cela ne se faisait pas, mais elle avait besoin de savoir. C'était... vital ? Non, peut-être pas. Mais tout cela l'intriguait.

Cela faisait trop longtemps qu'elles ne s'étaient pas vues. Elle avait du mal à savoir comment réagir avec sa grande sœur, c'était réellement confus, comme tout chez elle. Esther ne pouvait plus s'arrêter, les larmes coulaient toute seule, sans aide. Elle ne voulait plus la lâcher, elle voulait la garder dans ses bras pour le restant de ses jours, et ne plus jamais la perdre. Elle ne voulait pas la perdre, pas encore. Elle ne voulait perdre qui que ce soit dans ce monde, sa famille lui avait suffit amplement. Esther avait eu l'impression que son coeur s'était fendu, lorsque la vérité l'avait atteinte. Alors que pourtant elle était presque heureuse. Elle ne lui en avait jamais voulu, elle ne pouvait pas, elle n'avait pas le droit. Parce qu'elle avait rêvé de cet instant, bon nombre de fois et qu'elle s'était interdit de le gâcher. Elle s'était interdit de gâcher chaque moment rêvé en compagnie de sa soeur. Elle se blottit contre elle, et refusa un instant de s'en détacher. Non, elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas briser ce moment qu'elle avait tant attendu. Mais, elle en fut légèrement obligée, à croire que Jennalyn en avait déjà marre. Elle ne le prenait pas mal... enfin, elle ne savait pas comment le prendre. Elle la regarda, le menton tremblant, tout comme cette fois là. Oui, ce jour là dont Esther se souvenait, seconde par seconde. Elle avait parfois l'impression d'y retourner, mais sans Jenna. Sans personne. C'était un vrai cauchemar. Depuis ce jour là, elle avait développé une immense peur du feu. Elle secoua la tête, et comme pour fuir répondit "Et toi, comment tu vas ?" Elle sourit, malgré les larmes qui inondaient ses yeux et qui coulaient sur sa peau. Elle fondit, une fois de plus. C'était trop à gérer pour elle, bien trop pour une fille comme elle.

Un soupire s'échappa d'entre ses lèvres, elle se sentait bien, plus que jamais. Jennalyn lui avait manqué, terriblement. Elle avait mal vécu son absence, ce qui avait aidé au développement de ce que tant de personne nommaient "maladie." L'absence de compagnie l'avait détruite. Et aujourd'hui, quelque chose d'autre décidait de la détruire, peu à peu. Cette chose que l'on avait appelé la vie. Esther avait... du mal à comprendre, du mal à savoir, du mal à gérer. Elle ne savait rien, strictement rien. Elle se serra contre elle, encore un peu plus. Elle avait besoin de savoir que Jenna' ne l'abandonnerai pas, pas encore une fois. Qu'elle ne rêvait plus seulement, et que tout était vrai. Elle avait du mal à s'imaginer que tout cela était réel, alors il lui fallait un moyen pour le lui faire comprendre. Elle réagissait exactement comme auparavant. Son comportement n'avait pas vraiment changé, malgré que tout ce soit accéléré. Plus personne ne pouvait l'obliger à faire quoi que ce soit, alors elle s'était laissée emporté, et s'était renfermée sur elle même, un peu plus. Elle s'était réfugiée dans sa coquille fragile.
"Jenna... s'il te plaît... promets moi que cette fois tu resteras..."
Elle savait que sa grande soeur ne lui promettrait que pour lui faire plaisir, mais elle devait être rassurer, comme une enfant. Elle ne savait même pas comment se calmer. C'était comme automatique chez elle, et tout allait mettre un temps fou à redevenir à peu près normal. Elle se sentait vide, vide comme elle ne l'avait jamais été. C'était étrange et désagréable à la fois. Elle releva doucement la tête, et lui sourit.
"Jenna, tu m'as manqué. Tu peux pas t'imaginer à quel point..."

comme cela. Elle savait pertinemment, que rien ne pouvait être rose, c'était ainsi et ça ne changerait pas. Ca ne pouvait qu'empirer. Sa promesse la fit sourire, même si elle savait qu'elle ne pourrait pas la retenir si l'envie de partir lui prenait. A ses yeux, il n'y avait aucune promesse aussi belle que celle-ci.
Elle rêvait peut-être un peu, en s'imaginant ces tas de choses qui n'auraient sans doute pas lieu. Elle savait, que Jenna avait encore une vie, et qu'elle n'allait pas arrêter ce qu'elle faisait simplement pour elle, mais ça la faisait sourire, de penser au contraire. Elle n'avait eu l'habitude d'être "protégée" que par sa sœur. Esther gardait en mémoire certaines choses, des souvenirs qu’elle aurait préféré oublier à leur séparation. Mais malheureusement, elle s’était rendue compte que c’était impossible. Esther lui sourit simplement, sans savoir vraiment ce qu’elle devait faire. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de situation. Et, rien ne lui donnait d’indices sur le comportement à adopter. Et rester naturelle, c’était bien trop… trop étrange. Mais Jennalyn la connaissait mieux que personne. Après tout, elle avait vécu un bon nombre d'années en sa compagnie. Mais Esther avait honte, toujours. Elle ne se trouvait pas normal, parce qu'elle ne l'était tout simplement pas. Elle n'avait rien d'une fille comme les autres, et ce n'était même pas plaisant.
Son sourire ne semblait pas vouloir s'effacer. Et pourtant c'était bel et bien un sourire crispé, parce qu'elle était nerveuse. Elle ne l'avait jamais autant été. Mais elle avait l'habitude, alors ce stresse, elle songeait à ne plus y faire attention, sans vraiment pouvoir. A l'entente de sa question, Esther secoua la tête. Bien sûr que non, mais après tout… Esther s'en foutait, totalement. Son boulot, il n'était même pas important. Il lui permettait en quelques sortes, de se sentir mieux, en se disant qu'elle faisait au moins quelque chose comme les autres, que sur ce point elle n'était pas différente, mais elle l'abandonnerait bien.

« Bien sûr que non. Mais je m'en fiche. » lui répondit-elle en haussant les épaules.

Elle avait une irrésistible envie de fuir ce moment, mais à la fois envie de rester avec Jennalyn quelque en soit le coût. Elle savait qu'elle serait peu présente dans la conversation, parce qu'elle n'avait rien d'intéressant à dire. Elle ne savait pas ce qu'elle devait dire, tout allait vraiment trop vite dans sa tête, alors que tout paraissait calme vu de l'extérieur. Mais personne ne pouvait vraiment savoir ce qu'il se passait à l'intérieur de sa tête. C'était bien trop le fouillis, la dedans. Et il était bien trop difficile pour elle de tout démêler. Elle même ne pouvait s'y retrouver. Elle laissa Jennalyn

Elle allait bien. Jenna allait bien. Enfin, c'est ce qu'Esther pensait. Après toute ces années, elle ne pouvait décemment pas être au courant des évènements passés dans la vie de sa soeur. Mais, elle aimerait, Esther. Elle aimerait pouvoir tout rattraper. Rattraper le temps, et lui lever son majeur, pour lui montrer qu'il ne gagnerai plus jamais. Et même, le vaincre, ce putain de temps. Le temps, qui rongeait chaque être petit à petit. Ce temps, qui avait emporté tellement de gens déjà. Mais il ne lui reprendrai pas Jenna', pas encore une fois. Elle le promettait. Esther la protégerait, et l'empêcherait de partir. C'était à son tour maintenant, d'être une soeur digne de ce nom. D'arrêter les caprices, et de changer tant qu'il en est encore temps. Mais tout était dur. La vie, et tout le reste. Les gens, aussi. Le monde avait bien changé, et le monde était devenu moche. Moche comme on ne pouvait se l'imaginer. Esther avait fuit, pendant maintenant un grand nombre d'années. Elle avait fuit la foule, l'inconnu, et même le monde entier. Mais maintenant, elle ne pouvait plus se le permettre. Esther devait changer, et affronter le monde. Lui dire que plus rien ne l'atteindrai, et cacher ce qu'elle était. Mais elle ne pouvait pas. Parce qu'elle était la gamine, fragile que l'on devait se forcer à protéger de tout. La gamine soulante, mais traumatisée. On ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Ce n'était de la faute de personne. Ah, bah si en fait. Ca l'amusait, hein. Putain d'vie. Ca l'amusait, de voir les gens souffrir tous les jours. De leur prendre leur bonheur, pour ne jamais le leur redonner. Elle ne voulait plus croiser le regard de Jenna. Elle avait honte d'elle, honte de l'avoir laissé partir, alors que pourtant on ne lui avait pas laissé le choix. Son sourire s'était effacé. Parce qu'elle redoutait simplement cette discussion. Pourtant, voilà des années qu'elle en rêvait. Mais là voilà devant le fait accomplie. Alors oui, tout a changé, elles ont changé. Mais Esther espérait, qu'entre elles rien ai changé. Que tout soit comme avant, comme au putain de bon vieux temps. Gamine, et plus que soeurs. Jenna' avait protégé la petite rousse, et elle ne pouvait que l'en remercier. Parce que, sans elle, aujourd'hui ce serait probablement pire que ce que ça n'est déjà. Esther la regardait, les yeux baissés. Ses mots auraient pu la faire sourire, si seulement. Bordel, ce qu'elle aurait aimé lui dire que pour ça, c'était déjà trop tard. Que pour elle c'était déjà trop tard. Sa place allait être donnée, un jour, et elle le savait. Mais elle avait besoin de rester, malgré ce qu'elle disait. Vivre sans argent n'était vraiment pas possible, et un jour quelqu'un le lui hurlerait, pour que cela rentre dans sa tête. Mais Esther se contenterait de dire les choses a moitié, comme toujours. Mais le silence valait bien mieux. Ce silence, qui l'avait accompagnée. Ce n'était pas d'un traitement dont elle avait besoin, ni d'un psy. Mais seulement sa soeur, contrairement à ce qu'ils avaient pu penser pendant toutes ces années. "T'en fais pas pour ça... je gère." Ouais, enfin clairement elle gérait plus ou moins bien. Même plutôt mal d'ailleurs. Mais ce n'était pas sa préoccupation première, loin de là. Elle savait pas quoi lui dire, la pauvre gosse. Elle était perdue. Comment elle devait rattraper le temps, ça, elle n'en savait rien. Rien de rien, comme d'habitude. Non, rien n'avait changé, finalement. Elle n'avait pas changé, mais pour Jennalyn c'était probablement une autre histoire. "Alors... il s'est... passé beaucoup de choses... depuis... ?" la fin de sa phrase était imprononçable. Elle avait déjà eu beaucoup de courage, de lui demander. Parce qu'elle était plus que gênée, et mal a l'aise. Ces mots, elle ne voulait plus les prononcer. Plus jamais. Elle voulait qu'ils sortent de sa tête, à tout jamais.