Maelys se jeta un dernier coup d’œil dans la glace avant de rejoindre sa sœur dans le couloir. Ces derniers temps, elle se préoccupait beaucoup plus de son apparence, sous le regard consterné de sa jumelle. Un petit coup de peigne par-ci, un coup de blush par-là, alors que d'habitude elle était si négligée... Elle devenait peut-être et tout simplement plus mature et plus grande ; que les garçons pouvaient s'intéresser à elle et qu'ils pouvaient la troubler. Elle entrait dans la phase de l'adolescence la plus ingrate. Elle se mêlait maintenant aux trafics de maquillage dans la cour de récré, alors qu'elle les ignorait totalement avant, et Alice se contentait de la fixer d'un air béat. Mae ne lui en voulait pas, mais elle préférait maintenant passer du temps seule, assise sur un banc, ou à discuter avec d'autres filles, que de s'amuser avec sa sœur. Cette dernière ne se remettait pas du changement qu'avait subi la fillette. Elle n'en revenait pas que les activités qu'elle blâmait tant soient devenues ses occupations favorites.

Mae ne semblait même pas se rendre compte que sa jumelle vivait mal leur éloignement. On les avait toujours tenues ensemble, jamais elles ne s'étaient séparées plus de deux jours, et Alice commençait à regretter sérieusement les moments qu'elle passait avec sa sœur. Elle devenait plus maussade, plus évasive, mais jetait souvent des coups d’œil furtifs vers Maelys, comme si elle était une bête sauvage. Celle-ci secoua la tête pour s'échapper de son flot de pensée, se mordit la lèvre pour la rendre plus rouge, et sortit des douches des filles. Alice n'était pas dans le couloir. Fronçant les sourcils, elle dirigea ses pas vers le dortoir des rouge, mais il n'y avait pas de trace de la fillette. Mae se mordit la lèvre, plutôt inquiète. Où pouvait-elle être passée ? Elle avait dû en avoir marre de ses incessants jacassements et devait être partie se cacher dans un coin. En levant les yeux au ciel, elle se rendit dans le grand hall d'accueil, où les chaussures martelaient le sol comme des centaines de marteaux. Le sol en vibrait presque... L'incessant bourdonnement des conversation résonnait dans la pièce, et Mae se faisait sans cesse bousculer par des pensionnaires pressés et peu aimables. Elle s'immobilisa au centre, jetant des coups d’œil anxieux autour d'elle, jusqu'à se faire une raison : Alice avait dû aller se terrer dans un endroit où elle ne pourrait pas la trouver et ne sortirait que lorsqu'elle se sentirait trop déprimée. Maelys se sentait à la fois coupable mais aussi non responsable du chagrin de sa sœur. Tout le monde changeait un jour où l'autre, et sa jumelle le comprendrait un jour ou l'autre. La fillette s'approcha d'une jeune fille qui passait près d'elle :

« Désolée, mais t'aurais pas vu une fille de mon âge, avec des cheveux châtains et des yeux noisette... ? Une fille comme moi, quoi, puisque c'est ma jumelle ? »

Elle la fixa, un peu gênée. Elle était plutôt jolie, et, d'après le ruban cousu à sa robe, elle faisait partie du groupe des vert. Maelys avait toujours été en admiration devant les plus grands de l'orphelinat. Ils la faisaient rêver, et eux avaient le droit de se coucher plus tard. Surtout que leurs messes basses devaient être des plus intéressantes. La fillette aux cheveux auburn pencha la tête sur le côté en faisant les yeux doux, ceux qui faisaient craquer tout le monde.

Maelys plissa les yeux. IL y avait neuf chances sur dix pour que la jeune fille en face d'elle n'ait pas vu sa sœur. Ah la la, elle devait tout faire elle-même. Elle ne comprenait pas Alice ces derniers temps, ou bien était-ce Alice qui ne la comprenait pas, elle ? L'adolescence, c'était si compliqué. Elle n'avait même pas eu l'impression de changer ces derniers temps, mais que c'était sa jumelle qui était plus gamine, moins mature. Elle secoua la tête, essayant de faire disparaître ces pensées. Elle répliqua :

« Oui... Mais c'est pas grave. Le problème, c'est que je ne peux pas la chercher seule... »

Ça lui prendrait trop de temps de fouiller tout l'orphelinat, elle avait besoin d'aide. Elle jeta un regard éloquent à la jeune fille, lui faisant comprendre qu'elle ne pouvait plus reculer. Et Mae ne la laisserait pas se défiler, elle était sûre que personne d'autre ne voudrait l'épauler. Elle avait eu de la chance de tomber sur elle. Et puis, à quoi bon s'abaisser à une tache aussi ingrate qu'inutile ? C'était ridicule, Alice finirait par revenir. C'était tellement stupide qu'elle aurait pu en rire si elle n'avait pas été inquiète pour sa sœur. Cette dernière était imprévisible, et pourrait commettre un acte regrettable. Se rappelant qu'elle ne s'était pas présentée, la fillette déclara :

« Au fait, avant que j'oublie, moi c'est Maelys. Et toi ? »

Un grand sourire vint éclairer son visage. Il fallait que la jeune fille l'aide, elle ne pouvait pas refuser... Et puis, Mae l'obligerait. De gré ou de force, elle la traînerait à la recherche de sa sœur. Elle n'avait même pas de pensées méchantes, c'était dans sa nature d'agir comme ça.

Maelys lança un regarde reconnaissant à la jeune fille. Elle aurait voulu se jeter dans ses bras et l'étreindre, en gage de remerciement, mais elle ne pouvait pas faire comme ça, ça ne se faisait pas. Dans un élan de gratitude, elle la remercia avec effusion, soulagée :

« Oh, merci, tu me sauves la vie ! Alice fait tellement de bêtises quand elle est seule... À deux, on la retrouvera plus rapidement. Enfin, j'espère... »

Un grand sourire vint éclairer son visage. Elle espérait que leurs recherches seraient fructueuses, auquel cas elle aurait deux fois plus de bonnes raisons pour remercier Orlane. Orlane... oui, c'était un joli prénom. Peu usité, mais joli quand même. C'était doux, mignon, alors que Maelys... Maelys, c'était barbare, dur... Mais elle devait se contenter de ce qu'elle avait. Elle devait s'estimer heureuse qu'on ne l'ai pas appelée Cunégonde, ou bien Marie-Gertrude.

« Je propose qu'on reste par deux, comme ça il y aura deux fois plus de chances de retrouver ma sœur. »

Elle avait suggéré ça avec un air qui ne laissait pas entendre qu'elle devait essuyer un refus, mais plutôt un hochement de tête. Même si Orlane n'était pas d'accord, elle l'obligerait tant bien que mal à l'aider, coûte que coûte. Elle comptait bien retrouver Alice, par tous les moyens s'il le fallait, ou ça allait barder, autant pour sa jumelle que pour la jeune fille. Même si elle n'avait rien fait. Mae étouffa un rire nerveux, et pointa son doigt en direction de la cour, proposant de commencer par là, même si elle se doutait bien que son alter ego ne s'y trouvait pas.

Le dévouement n'était pas inné chez elle, mais quand il s'agissait d'Alice, elle pouvait faire tout et n'importe quoi.

Cela ne me dérange absolument pas de la chercher avec toi. Au contraire, ça m'occupera. Et à deux, ça ira plus vite, c'est vrai.

« Elle venait à côté de toi enlaçant l'une de tes mains pour t'entraîner vers l'extérieur. On n'y croisait personne de semblable à Maelys. Malheureusement. C'était compliqué. Cet endroit était très grand pour retrouver sa soeur dans les minutes qui suivaient.

Un long sourire venait s'étaler sur les lèvres d'Orlane pour rassurer la jeune fille. Elle ne voulait pas qu'elle se sente mal parce que sa sœur a disparu. Malgré ça, ce n'est pas parce qu'on ne voyait personne au loin que sa sœur ne pouvait pas se cacher derrière un arbre. Où dans le gazon, allongé.

Elle avançait petit pas par petit pas, toujours en tenant la main de la jeune fille. Hochant la tête plusieurs fois de droite à gauche. La longue chevelure blonde de la jeune femme virevolter au gré du vent.Sa main te serrer très fort et fermement. Elle était chaude et réconfortante. Ses yeux l'étaient aussi. Elle était en pleine forme pour retrouver ta sœur jumelle, ça, fallait le dire. Ça se voyait à la lueur de son regard, elle était également inquiète. Espérant qu'elle n'ait pas fait de bêtise.

Puis, son regard vint de nouveau se poser sur ta personne. Pour pas que tu te fasses du mauvais sang.  
Elle ne voyait vraiment personne de semblable à sa sœur, elle mordait sa lèvre inférieure scrupuleusement avant de retourner sur ses pas, légèrement anxieuse... »

Maelys faisait de gros efforts pour ne pas laisser libre cours à son désespoir, mais il fallait dire qu'Alice commençait à lui échauffer les oreilles. Pourquoi n'allait-elle pas lui dire le fond de sa pensée en face ? Était-elle lâche à ce point ? La fillette savait bien que sa sœur n'avait jamais été très démonstrative, mais elle se demandait si elle se parleraient un jour. Peut-être qu'elles ne se reparleraient plus jamais, mais Mae en doutait. Ça n'était pas leur genre de s'ignorer ainsi.

« Je suis certaine qu'elle s'est terrée dans un endroit improbable... »

Maelys la connaissait plus qu'elle-même, et était bien placée pour le savoir. Elle commençait à en avoir mal de subir ses caprices et d'essuyer ses refus de parler, mais elle était quasiment certaine que ça avait à voir avec le garçon qu'elle avait rencontré il y a peu. Mais non, Alice n'était pas du genre à se disputer pour une bagatelle de ce genre... Quoique.

Elle soupira. Pourquoi était-ce toujours à elle de faire le premier pas ? Sa jumelle était donc si irresponsable que ça ? La fillette se demandait toujours ce qu'elle avait bien pu faire pour s'attirer son mutisme, mais la présence d'Orlane près d'elle la rassurait un peu. Mae prit son courage à deux mains et suivit la jeune fille à l'extérieur. Mais il n'y avait personne qui ressemblât un peu à sa sœur, et ça la découragea rapidement. Elle pouvait laisser tomber... Baisser les bras... Mais non, elle devait parler à Alice, coûte que coûte.