Marlene n'avait jamais vraiment su ce qu'était la politesse ; et pour cause, on n'avait jamais eu le temps de lui inculquer ne serait-ce que la politesse élémentaire. Elle savait très bien dire merci ou au revoir, mais avait de la difficulté à faire des excuses à quelqu'un. Rien d'étonnant chez elle... Elle aimait se dire qu'elle était quelqu'un de spécial, qui n'avait jamais rien à voir avec les autres. Ou bien elle rêvait de ses parents biologiques, de leurs manières, mais surtout, de tout ce qu'ils avaient possédé. La seule chose qu'elle savait d'eux, c'est qu'ils avaient été très riches. En fait, on n'aurait jamais dû lui dire ça, car, depuis, elle se prenait littéralement pour une princesse. De ce fait, elle n'était pas très appréciée dans le dortoir, mais elle s'en moquait bien. Ce qui comptait pour elle, c'était de partir d'ici, un jour, et de montrer à ses camarades qu'elle ne valait plus qu'une pauvre orpheline. Et elle vivait dans l'espoir de voir arriver un tel jour, ce qui s'avérait très utopique.

La jeune fille pensait également qu'elle devait prendre le plus de place possible pour montrer à son entourage qu'elle valait bien mieux qu'eux tous. Alors elle se montrait sans gêne, embarrassant tous ceux qui se trouvaient sur son chemin. Et elle se moquait bien de les gêner ! Ce qui comptait, c'était qu'ils reconnaissent sa supériorité. Obsédée par sa théorie, elle ne remarquait jamais les regards haineux qu'on lui lançait sur son passage.

Justement, le soleil brillait tellement haut dans le ciel que Marlene décida d'aller faire un tour dehors, à la fois pour s'éclaircir les idées, mais aussi pour réciter sa litanie habituelle, qui consistait à se plaindre de la manière dont on la traitait ici depuis 10 ans. Les autres commençaient à en voir de toutes les couleurs, alors elle tentait d'étoffer son discours, mais cela représentait toujours la même menace de la voir débarquer pour les autres pensionnaires. La jeune fille s'assit sur un banc et s'étira longuement, avant de se rendre compte qu'il était occupé par une autre fille de son groupe. Elle devait être tellement discrète que Marlene ne l'avait jamais remarquée auparavant. À moins qu'elle soit nouvelle ?

« Oh, excuse-moi, je ne t'avais pas vu. »

Elle se décala légèrement sur la gauche, afin de donner un peu de place à la fille tout en restant supérieure. Ainsi fonctionnait-elle. Marlene sembla réfléchir un moment, jeta de fréquents coups d’œil à sa camarades, puis sourit et son visage s'éclaircit.

« Regarde-moi tes vêtements ! Tu pourrais être beaucoup plus jolie avec du maquillage et des habits un peu plus élégants. »

Même si l'autre ne lui avait rien demandé, Marlene aimait fourrer son nez un peu partout. Elle sourit gentiment et tapota l'épaule de la jeune fille avec l'air qu'on prend quand un gamin pose une question idiote. Que ça lui plaise ou non, sa camarade devrait subir ses propositions à la limite de l'hystérie, et ça ne s'avérait pas fini du tout. Pas vraiment.

Laquelle des deux filles était la plus pathétique ? Selon Marlene, c'était sa camarade. Elle avait l'air si pitoyable dans son uniforme usé ! Mais, en réalité, c'était incontestablement la jeune blonde. Elle était même ridicule à donner des conseils qu'elle ne suivait même pas elle-même, et à imposer de force sa présence ainsi. Mais Marlene avait toujours été ainsi et n'allait pas changer du jour au lendemain.

« Non non, je suis sérieuse ! »

Elle contempla un instant ses cheveux, et songea qu'après un bon shampooing spécial O'Brien, ils brilleraient de nouveau. Elle sourit, et l'espace d'un instant, on pu croire qu'elle allait enfin se détourner de sa camarade, mais elle vint poser un doigt sur ses lèvres. Elle réfléchissait. Et ça n'était pas beau à voir.

« Ça, c'est un autre problème ma vieille. On dirait que c'est toujours le principal sujet de préoccupation chez les coincées : les animaux... »

Mais qu'est-ce ce qu'on s'en fichait, de tester des produits de beauté sur eux ou non ! C'était pour la bonne cause, et ils devraient être contents de servir la science ainsi. Voilà. C'était un argument en béton.

Violet était donc irrécupérable. Marlene n'aimait pas du tout ses manières, ainsi que la façon dont elle la regardait ; or la jeune blonde se pensait bien supérieure à elle. Elle se demandait même pourquoi elle lui avait adressé la parole, en fin de compte. La jeune fille se reprocha sa langue bien pendue, parce que sa dignité venait d'en prendre un coup. Elle répliqua hautainement :

« Je vois que tu cherches la bagarre. Les humains aussi sont des êtres vivants, et qu'est-ce qu'on en fait ? On les jette dans un orphelinat sans aucune porte de sortie. »

Cette allusion à sa condition d'orpheline enleva toute trace d'émotion de son visage. Elle détestait la mort de ses parents. Elle haïssait plus que tout Moor et ses affreuses manières. Mais elle était certaine d'avoir raison, la directrice n'était qu'un tas de chair sans compassion. Marlene se tordit les mains en songeant que si elle le lui disait en face, elle ne ferait pas long feu.

« Bon, tu vois, j'ai pas que ça à faire que parler avec toi dans le vide. Je te conseillais simplement. Après... tu fais comme tu veux. »

Mais Marlene n'allait pas en rester là. Elle refusait de laisser tomber. Violet – car elle se rappelait maintenant de son nom – pouvait devenir très jolie si elle acceptait de laisser tomber ses « tests sur les animaux ». La jeune fille resta donc sur son banc à sourire, comme une statue inquiétante.

Marlene haussa les sourcils. Selon elle, sa camarade avait un radis planté dans le cul, et le fait qu'elle la jauge de haut en bas comme une bête curieuse renforçait son impression. La jeune fille ne savait vraiment pas ce qui l'avait poussé à lui adresser la parole, mais elle mit ça sur le compte de la fatigue.

« Quoi ? » Elle éclata de rire, comme si c'était la meilleure des plaisanteries. « Bien sûr que si, pauvre fille. » Son ton était à nouveau méprisant, teintée d'orgueil. « Peut-être que je t'ai parlé pour ça, oui... en enlevant la condition humaine. »

Elle n'était pas du genre à s'apitoyer sur ces choses-là. Aussi se leva-t-elle par pur dignité, et se lissa les cheveux sans laisser paraître son agacement. Violet commençait à l'énerver avec ses phrases timides, toutes ces choses qui la rendaient inférieure aux yeux de Marlene.

Marlene plissa les yeux. Mais pour qui elle se prenait ? On ne lui avait encore jamais parlé sur ce ton. Et ça commençait vraiment à l'agacer. Peut-être qu'elle n'avait pas l'habitude, mais elle n'allait pas se laisser faire, foi d'O'Brien ! Non, vraiment, elle n'appréciait pas.

« Ah oui ? Eh bien figure-toi que je préfère être une fille comme moi qu'une misérable fille en ton genre. »

Marlene n'avait pas le chic pour les répliques bien senties, mais ça pouvait lui arriver de sortir des paroles blessantes, même si là, elle n'était même pas allée au fond de sa pensée. Elle leva la tête et toisa Violet d'un air méprisant, puis passa son chemin, à la fois rouge pivoine, et verte de rage. Violet ne perdait rien pour attendre.